Dialogues avec la Shoshana de Jacques Lucchesi

 Jacques Lucchesi, dont on connaît la plume fine, use dans ce dernier ouvrage d’un diamant bien taillé pour approcher l’amour-passion - l’amour brûlant et possessif, dont témoignent tout au long ses beaux Dialogues avec la Shoshana. Enfer, bonheur d’aimer, tempête sous un cœur. Je te hais, quitte-moi, tu es mon mac et toi ma pute. L’éternelle déraison qui fait que nous aimons cahin-caha, souvent bien mal, parfois trop fort. En nous cognant à l’autre, en cherchant une issue où l’on serait tenté de fuir. Ou simplement en caressant cet autre d’arabesques de caresses qui crée et réinvente la volupté suprême. Ces Dialogues vrais et crus, sortis droit de l’Illustre et Grandiose Théâtre de l’Amour – théâtre par excellence fait d’ombres et de lumière, d’humeurs et de sourires, de drames et d’amusettes -  nous donnent à voir sans fard et sans pudeur les plis de draps, les secrets murmurés d’alcôve, les confidences sur oreiller, les rendez-vous entre deux portes (quand ils ne sont pas tout simplement ratés) de deux amants pour qui le monde n’existe plus. Chez elle, chez moi, au téléphone, dans son bureau sont les lieux - j’ose dire - de l’action, présentés comme les aires de rituels savants, de doux plaisirs, d’aveux subtils, de confessions naïves, de frénétiques possessions dont l’impatience frémit entre les lignes. L’amour, c’est deux egos qui bien souvent se frottent, se sentent, s’apprivoisent. C’est le dialogue immémorial de corps qui se dévorent, se trouvent - quand ils n’ont pas perdu le nord de l’autre. Dialogues avec la Shoshana nous fait connaître sans y toucher les souterrains arcanes d’une passion vécue à mort, furtivement, profondément et follement. Jacques Lucchesi dans ses Dialogues brefs comme des lames nous invite à une mise en abîme de l’Amour, à un jeu de reflets où on serait tout à la fois l’aimé, celui qui aime ; celui qui part et qui attend ; celui qui se confie et celui qui écoute ; qui baise et est baisé. Un corps-à-corps avec soi-même avant de retrouver l’aimé(e) et de s’y fondre : voilà quel est ce chant d’amour dédiée à celle qui fut idolâtrée, la Shoshana. La quatrième de couverture parle de journal intime. Je parlerai de notes prises sur le vif, sans concessions et sans chichis où la passion – ses heurs et ses malheurs - serait scrutée comme à la loupe par un entomologiste de l’amour. En lisant ces Dialogues, j’ai vu aussi dans ses éclats des éclairs de pépites que je n’ai rencontrés peut-être que dans Louis Calaferte et sa Mécanique des femmes.

  Yves CARCHON