Je voudrais revenir sur Lionel Mazari, poète que j’ai découvert récemment et qui présentait sur France Culture son dernier
recueil : D’après la mort (The Book Edition). Beau moment
fragile que ces trente minutes trop courtes où la voix de Mazari,
montant de l’enfance, parlait de lui-même avec une pudeur
« feutrée de nuit ». Il nous dit avoir « des bleus partout », ce qui
suppose que pour cela « il a dû se cogner au ciel », formule qui dit
assez que ses poèmes
oscillent entre l’obscur et la clarté - le bleu du ciel,
dirait Bataille. Sa poésie naît à l’âge de sept ans, âge où notre poète
comprend qu’on va mourir, que vivre ne sera pas une
sinécure et que de vivre, justement, « il « ne souhaite ça à
personne. » La mort, la maladie de proches qu’il évoque discrètement, la
sienne peut-être (« j’ai toujours été
malade ») c’est ce qui semble être l’intime d’une poésie
« sauvage », autrement dit vivante, donc incarnée. « Je chutais... de
l’enfance » dit-il dans quelque part dans
D’après la mort. Et il chante le monde, l’amour : « aveugle
celui que ne calcine pas le regard d’une abeille » et murmure à
l’aimée : « je nous souhaite la vie
d’un frisson » ou le poignant : « quand je serai mort, j’ai peur de
ne plus te voir. » Il cite un frère d’armes, Michaux, qui dit qu’on nous
a appris à parler alors que nous
étions faits pour chanter. Et c’est cela que tente Lionel Mazari :
retrouver le chant initial, jouer avec les mots en les créant, les
détournant, on inventant sa propre langue, bien loin du
« carnaval de nos grimaces. ». Poésie que le poète roule sur sa
langue comme les cailloux de Démosthène, poésie qu’il doit mettre en
bouche - mais la poésie
n’est-elle pas orale et musicienne aux origines ? – poésie mise en
sons et qui parle à l’oreille, autre moment magique de l’émission Ca rime à quoi
où Mazari soi-même a donné chair,
tremblé à ses poèmes dits. En l’entendant, on comprend mieux que
pour « montrer ses poèmes » il préfère les tréteaux au livre qui, par
essence, fige les mots. Il dit d’ailleurs que
rassembler des textes de poésie est tout autant étrange
qu’arbitraire – ce qui le rapproche d’Ughetto, autre poète, qui lui
avoue ne pas savoir faire de livres avec sa poésie. Mazari tient une
sorte de journal de bord sur son séjour sur terre. Quand il évoque
la maladie ou le voyage ou la souffrance de vivre, je pense au pauvre
Rutebeuf dont il est proche. A défaut de pouvoir entendre
« l’artiste de poèmes » qu’il est assurément, il faut lire Mazari. Clam, Cohobe, Journal d’un ange sont édités aux Editions Gros Textes et les Dénoy-auteurs ou le
jetable poésie aux Editions du Port d’Attache.
Yves CARCHON