Ah,
de petits miracles arrivent quelquefois ! De ces épiphanies qui rendent
la vie légère et disons supportable. Un livre peut faire l’affaire.
C’est rare, mais ça arrive. La preuve : lisez Pénélope andalouse.
Belle et racée tenue s’émane de ce bouquin. Son auteur : Jésus Manuel
Vargas qui sait boxer sa prose comme personne. Il la torée peut-être,
allez savoir ! En tout cas, il ne lâche rien, bataille et fonce comme le
taureau. Quand on entre dans son livre, on pense d’abord à un semblant
de road movie mais que l’auteur ferait avec lui-même. Quand on poursuit,
on sait qu’il faudra s’accrocher, qu’aucune concession ne sera faite.
Nous voilà donc sur les hauteurs. Tant mieux ! C’est un peu âpre,
violent – quoique voilé par la tendresse qui se profile ici ou là...
Parfait ! La phrase swingue et coule bien. On sait bien sûr que le
ciseau a dû couper dans la graisse du texte... C’est le fatum de
l’écrivain. Une cigarette, relaxe-toi ! Los Atochares où notre narrateur
débarque en début de récit devient un lieu mythique tout comme Adra,
transfigurés comme de juste. Loin de la France, pour cause de retour aux
sources sous les auspices de la Mort, il écrit malgré tout, tient un
journal de bord. L’hôpital espagnol, c’est un peu comme l’auberge. Tu y
apportes ta vie, en miettes ou non. Chambre 328 : une cigarette,
relaxe-toi ! Bref, la vie n’est pas simple. C’est ce bouillonnement de
mort et d’existence qui semble l’apanage du narrateur-auteur. Mais cette
effervescence à fleur de mots finit par devenir la nôtre en fin de
compte, embringués malgré nous dans ce voyage initiatique au ton
antique. Dans Pénélope andalouse, il y a aussi du Mama a cent ans
de Carlos Saura. Toute cette famille qui passe, repasse, ces parents
éloignés qui viennent visiter l’ancêtre, Pénélope qui se meurt. Et qui
attend. Même pas peur de la mort, Pénélope ! Elle veut revoir tous ceux
qu’elle aime. A commencer par « le petit Français » qui n’est autre que
le narrateur, cahotant entre deux mondes, fumant pour s’enivrer comme
Baudelaire, se trempant dans la vie – la vraie vie – jetant dans des
carnets des choses vues, des carnets qu’il relit et rature, encore,
toujours, jamais content. Il y a du sang au coin des mots, des silences –
il n’aime pas trop parler le narrateur, ce que je crois. Parler est
subsidiaire quand on écrit - ou trop grossier. L’Andalousie enfin – qui
est peut-être la véritable Pénélope attendant ses enfants égarés comme
Ulysse - pousse ses cornes dans cette prose. Il y a dans ce Pénélope andalouse des fulgurances à la Lorca, un frère de sang probablement... Le road movie tourne au romancero.
Cette cérémonie des adieux se clôt sur la découverte d’une valise,
ferment d’où naîtra l’écriture avec ses aléas, ses doutes et ses
jubilations. Il manquera toujours deux pages au texte jamais fini !
Bref, vous m’aurez compris (ai-je pris la fièvre du narrateur ?) : il
faut lire sans délai Jésus Manuel Vargas. Courez, volez et payez cash
son bougre-livre ! Vous ne pourrez être déçu !
Yves CARCHON
Pénélope andalouse, Jésus Manuel Vargas. Les Presses littéraires. 8 euros.