La liste des ouvrages
dont Marseille est le sujet dépasserait sans doute les limites d’un
volume ordinaire. Il y a dans cette ville un
je-ne-sais-quoi producteur de paroles. Et les écrivains de son
terroir en ont, les premiers, usé et abusé. Dans ces conditions,
« Epaves », l’ouvrage que publie aujourd’hui Henri-Michel
Polvan , chez La petite édition, aurait toutes les chances de se
fondre dans l’énorme masse de ceux qui l’on précédé si l’on ne disait,
d’entrée de jeu, qu’il est l’œuvre d’un véritable poète. Un
poète pour qui l’usage de la prose a depuis longtemps supplanté le
vers, mais sans en perdre, pour autant, la saveur et l’inventivité
verbale. Dans ces pages, justement, se libèrent les forces de
l’imaginaire, dans la mouvance des surréalistes, ses aînés admirés.
Sous ce titre on ne peut plus baudelairien, Polvan réinvente le portrait
littéraire – genre faussement suranné – qu’il
applique, non pas aux célébrités de ce monde, mais aux drôles et aux
humbles qui ont peuplé sa jeunesse, génies du quotidien que chacun de
nous a pu, un jour, croiser dans cette cité. Et comme
Pierre Michon dans ses « Vies minuscules », il leur offre une
seconde existence, plus pure, dégagée des contingences historiques,
poétique en un mot. Sous sa plume, nous entendons le
franglais de l’oncle Chanouaï, le timbre aigrelet de Léontine, la
folle du quartier, quand elle houspillait les passants ou encore la voix
puissante de Métier, le ténor haltérophile, devant un
parterre d’immigrés italiens. D’autres fois ce sont des lieux qui
suscitent son empathie : Saint-Joseph, les Chutes-Lavie, la Belle de
Mai, le Lacydon. Nous le suivons, émerveillés, dans ses
pérégrinations nostalgiques ; et quand il nous susurre – comme dans
« Eléments d’un mythe » - que toute cette sociabilité joyeuse n’a jamais
existée, nous avons du mal à le
croire ; pour peu, nous lui en voudrions d’avoir balayé nos
illusions. Quant à « Marseille comme s’y vous n’y étiez pas »
(sous-titré « petit semainier phocéen »), il se
divise en sept chapitres, chacun étant associé à un jour de la
semaine. Ce qui est surtout le pré-texte pour saper les conventions et
les clichés par le langage lui-même. Il faut saluer, pour
finir, l’excellent travail de mise en page et d’illustration réalisé
par Marcel Baril. De la petite édition sans doute, mais de la bonne édition quand même.
« Epaves », augmenté de « Marseille comme si vous n’y étiez pas », 213 pages, 10 euros
Jacques LUCCHESI