« Roger Curel, le marcheur à l'étoile », de Claude Darras (éditions Complicités)

                                                                     




  Etonnant parcours que celui de Roger Curel (1923-2016), né Rosfelder dans une Algérie encore sous domination française ! Une soif inextinguible de savoir et d'expériences artistiques cohabitait en lui avec un désir éperdu d'action en une époque où le monde était en pleine effervescence. Et il s'y frotta rudement avant sa vingtième année, en participant à l'attentat contre l'amiral Darlan, numéro trois du régime vichyste, en décembre 1942. Le résistant se fera soldat - dans la deuxième DB - jusqu'à la fin de la guerre, avant de revenir, quinze ans plus tard, à une autre forme de résistance, plus affective celle-là, aux côtés du FLN. Entre temps il aura fait du journalisme, entrepris des études d'ethnologie et participé, comme scénariste et assistant-réalisateur, à l'aventure documentariste de Jean Rouch au Niger. Parallèlement l'écrivain allait progressivement s'affirmer sur la scène littéraire française, riche de toutes ces expériences. Une vingtaine d'ouvrages, dont huit romans, allaient être publiés entre 1952 et 2014. Sans parler de ses nombreuses collaborations à des revues spécialisées comme Le Croquant et l'écriture de deux scénarios cinématographiques : Crin Blanc, d'Albert Lamorisse (1953) et Traitement de choc, d'Alain Jessua (1973).


Mais la postérité est capricieuse, reprenant d'une main ce qu'elle a fait miroiter de l'autre. Et un linceul d'oubli a progressivement recouvert cette œuvre flamboyante et éclectique. Il fallait toute la sympathie et la détermination d'un autre écrivain-journaliste, Claude Darras, pour l'exhumer et la replacer à nouveau dans sa perspective historique. C'est chose faite avec  Roger Curel, le marcheur à l'étoile, une biographie extrêmement documentée qu'il publie, en ce printemps 2024, aux éditions Complicités. En trente quatre courts chapitres, il nous restitue les multiples facettes de cette existence hors-norme qui s'est achevée à Bonnieux, dans le Luberon, en 2016. Il s'agissait aussi de lui rendre justice, car le nom de Roger Curel a été littéralement effacé des films qu'il a co-signés. Et ces pages fourmillantes d'anecdotes se lisent comme un roman, tellement l'écriture de Claude Darras épouse poétiquement son sujet. Qu'on en juge :

« Dès l'instant où il trace à petits traits les lignes de la géographie algéroise, vous avez la tête comme un carnet d'estampes, une sorte de guide routier dont il manquerait des pages. Très présente dans ses récits (il habitera longtemps tout à côté) la Grande Poste s'ajoute à une multitude d'images, de sensations et d'odeurs qu'il détaille avec verve : au moment où les dockers, un panier à la main, descendent en silence les escaliers du Bastion XV ; » (page 25).

Ce n'est là qu'un extrait, parmi tant d'autres de la même veine, qui démontre le caractère spécieux de la distinction que l'on fait souvent entre écriture créatrice et écriture analytique. Claude Darras, qui possède son art sur le bout des doigts, l'a depuis longtemps
dépassée et poursuit, de livre en livre, une œuvre qu'il faut découvrir sans tarder. Pourquoi pas avec
Le marcheur à l'étoile ?


(Roger Curel, le marcheur à l'étoile, de Claude Darras, éditions Complicité, 147 pages, 18 euros

Jacques Lucchesi