Enfant,
quand j’avais un chagrin, je me réfugiais dans un livre pour apaiser ma
peine. Au fil des pages, décollant du réel, mon
chagrin s’estompait. C’était à chaque fois un même miracle. La
lecture : imparable thérapie contre mes petits maux d’humain. Que
puisais-je dans ces livres, pas forcément de race ? Un rien
qui ressemblait à de la force d’âme, une attitude volontariste face
aux méfaits du monde. Oui, je trouvais dans ces destins que je lisais la
voie à suivre, l’étoile qui me révélerait le bon
chemin, le salut à jamais. Dans cette naïve démarche, il y avait du
mystique, je n’en disconviens pas. Mais ces moments heureux, que je
vivais avec ces mots en rangs de marche m’ouvrant les
portes de l’Infini, avaient un goût d’éternité. Car non seulement,
j’avais fini par oublier pourquoi j’avais plongé dans la lecture mais je
m’étais aussi comme affranchi du Temps. Doublon de
rêve : être guéri de son chagrin et de l’ennui d’être mortel ! On
comprendra que je me pris d’amour déraisonnable pour la lecture et que
celle-ci, par ses vertus thérapeutiques, me
propulsa vers l’écriture. Gamin, un de mes rêves était de devenir
médecin. J’avais la vocation mais manquais de courage pour aborder de
longues études. Je le devins en écrivant. Ou, plus
exactement, je me mis à écrire avec l’arrière-pensée que si je
peaufinais mes textes, je guérirais plus d’un lecteur. Mais plus
précisément, je pensais aux lectrices et me disais que le meilleur
métier au monde était de s’occuper des états d’âme du sexe féminin.
Ainsi fus-je embarqué dans la galère de l’écriture, sachant que si
j’étais en soute, il y avait sur le pont plus d’une captive
à secourir, plus d’une veuve à consoler, plus d’une Bovary en herbe
qui avait grand besoin des premiers soins. Ayant compris très tôt tout
le miraculeux de la lecture, je découvrais que
l’écriture était aussi une auto-thérapie, une manière radicale de
mater ses démons et le plus sûr moyen de partager une gigue avec le
Diable. Bref, de rendre supportable cet autre gisant
malignement au fond de nous. Je ne dis pas qu’en écrivant on n’a
plus de chagrin : je suggère seulement que c’est la voie royale pour
transformer ses larmes en joies, pour convertir ses
peines en apothéose de bonheurs, pour réduire ses chagrins au point
d’en oublier l’objet, qu’on soit gamin ou homme vieillissant, gamine,
jeune fille en fleurs ou Marquise de Merteuil.