Viva Modiano !

Ne boudons pas notre plaisir : un prix Nobel de Littérature français, voilà qui nous rappelle nos heures de gloire ! En toute honnêteté, j’attendais Philip Roth ou Milan Kundera. Ah, Kundera, voilà qui aurait eu une certaine gueule ! Patrick Modiano est certes une franche et belle surprise. L’auteur que nous avons tous découvert, d’abord grâce à Pivot, alors le pape d’Apostrophes sur le petit écran, nous présentait alors sa Place de l’étoile, son premier livre. Autant était-il emprunté, confus dans son élocution, autant sa plume filait, errait dans les rues de Paris à la recherche d’un parent ou d’un ami perdu, se cognant à des portes cochères ou entrant dans des cours intérieures improbables, parlant aux inconnus d’un jour qu’elle ne reverrait pas, à la manière d’un K lâché en liberté. Depuis, des noms trouvés dans le bottin (à l’instar du grand Simenon) ont été à l’origine de maints personnages aux passés obscurs — car pour Modiano, rien n’est simple, nous avons tous connu des gens ayant eu plusieurs vies, donc plusieurs passés — des ombres ayant parfois changé d’identité, des silhouettes louches ayant frayé avec des collabos... bref tout un monde interlope, pas toujours net sur lui, surgissant d’un passé plutôt noir, celui de notre histoire française : l’Occupation. Peu à peu, Modiano, avec sa légendaire timidité, avec cette simplicité qui n’appartient qu’à lui, avec ses tics de visage et ses mains recherchant l’arabesque parlante a bonnement construit une œuvre, nourrie sur le terreau de nos non-dits. Car c’est précisément de quoi il est question pour Modiano : dire le non-dit, ou en tout cas le suggérer, tenter de l’approcher et de l’amadouer. Toute vie devient alors une énigme à résoudre. Un des jurés du prix Nobel a parlé d’un « Proust d’aujourd’hui » au sujet de Modiano. Moi, je le verrais plus du côté de Kafka, errant dans le dédale d’une vie où rien n’est fiable, où tout est bon pour s’égarer, où même quand on retrouve la trace d’un père parti au bout de la nuit, ce qu’on apprend de lui reste fragmentaire, voire illusoire, donc angoissant. La dernière interview de notre prix Nobel de Littérature est bien sûr savoureuse. Il n’a rien perdu de ses doutes et hésitations langagières. Il est resté le même et quand on lui demande ce qu’il compte faire après ce prix : «Eh bien, dit-il, continuer...euh...enfin...oui...à écrire ! »
 
                                                            Yves CARCHON