Je
suis toujours frappé de voir combien de comédiens, de musiciens, de
sportifs, d’écrivains ayant atteint une certaine notoriété sont ignorés
par ceux pour qui la comédie, la musique, le sport ou la littérature ont
si peu d’importance. Un nom connu dans tel ou tel domaine ne l’est que
lorsqu’on s’intéresse au monde auquel il appartient. Autrement dit la
notoriété est toujours relative, souvent vaine et parfois illusoire. Tel
roi, nous dit Montaigne, connu pour ses exploits sous telles latitudes,
passait pour inconnu sous d’autres cieux. La mythologie des Anciens
chantait les aventures des héros et des dieux, que l’on fêtait et
honorait. Aujourd’hui, évoquer leurs prouesses n’a aucune chance d’être
entendu. Chacun recherche, dirait Warhol, l’instant magique où il
apparaîtra sur un écran et connaîtra son heure de gloire. Notoriété
certes fugace mais à l’image d’une notoriété plus établie, qui chasse
l’une pour être elle-même chassée à tout jamais sur les tabloïdes de
l’Oubli. Cruel destin que de vouloir absolument briller et vouloir être
vu, admiré, suivi comme un modèle ou comme un phare de la pensée, et
retomber très vite dans l’anonymat. J’ai connu de bons écrivains qui se
vendaient très bien de leur vivant et dont on a oublié jusqu’à leur nom.
Leurs bouquins même, dont on vantait la qualité, sont introuvables.
Pourtant leur lectorat fut grand. Je soupçonne même leurs meilleurs
lecteurs de les avoir « zappés » une fois pour toutes de leur mémoire.
Si ce n’est pas misère que l’inconstance humaine ! Tel musicien qu’on
regardait comme un génie vivant, tel comédien qui emplissait les
théâtres à Paris, tel sportif qui déplaçait les foules dans les stades
ont eu lauriers et gloire, nul ne le nie. Mais plus personne jamais n’en
parle ! Ou enfin si : dans les livres d’Histoire. L’ultime
reconnaissance se tapirait-elle donc dans les manuels scolaires ? Mais
il y a plus fort : il en est d’autres – et c’est je crois l’apothéose de
la notoriété – qui gagnent leurs galons parce qu’ils sont morts et
parce qu’un engouement soudain les tire d’un purgatoire obscur. Les
voilà donc (re)connus. Tant mieux ! Mais pourquoi diable de leur vivant
ne furent-ils pas portés au firmament de la reconnaissance ? Mystère...
Il en va donc de la notoriété comme du vent qui souffle souvent sans
rimes ni raison. La Belle Otero qui avait été adorée, comblée par ces
messieurs du Tout-Paris mourut à quatre-vingt dix sept ans dans l’oubli
absolu. Il est vrai que ses admirateurs fervents étaient morts avant
elle, que plus personne en ce bas-monde ne savait plus qui elle était !