Il
n’y a pas si longtemps, devenir écrivain relevait du magique. Nourris
au lait de nos poètes, dramaturges, moralistes,
romanciers qui ont marqué et jalonné notre histoire littéraire, nous
aspirions à suivre leur exemple. Ecrire était encore un acte noble, pas
une activité parmi tant d’autres ou une rente
mercantile comme on voit aujourd’hui. Ecrire exigeait de l’ascèse,
une prédisposition à vivre de moins que rien, une accointance avec
certaines mœurs et coutumes littéraires, et même l’adoubement
d’un aîné reconnu. Un livre était chargé de son pesant d’histoire,
de réflexion, de création imaginaire et nous ouvrait les portes de la
pensée. Pas un produit que l’on fabrique comme les boîtes
d’Andy Warhol. Comme on était pétri par les Humanités, vouloir être
écrivain c’était vouloir entrer dans la caste aristocratique de
l’esprit. Cela tenait du sacerdoce, voire de la vocation, au
même titre qu’un novice en passe d’être ordonné curé. Nous étions
héritiers de Montaigne, de Racine, de Voltaire, de Flaubert, Zola,
Proust et Céline, autrement dit d’ancêtres qu’il n’était pas
question de décevoir. Ecrire, on le pouvait, c’était même un devoir,
mais pas n’importe quoi ! Nous étions condamnés à vivre sous le regard
de l’excellence. Il est vrai que la France n’est
pas avare de grands talents de plume. Je dirais même que c’est un
trait du caractère français. Notre langue s’y prête : simplicité,
limpidité, aisance sont là ses principaux atouts. Voyez
nos moralistes, ou nos poètes de la Pléiade, ou même le théâtre du
Grand Siècle. Il semble qu’aujourd’hui les choses aillent autrement.
Chacun écrit, veut être publié et, quand il l’est, est
reconnu comme écrivain. Qui a son livre en librairie se doit de
plastronner et d’obéir au plan média orchestré savamment par l’éditeur
qui l’a élu. C’est bien là que se niche ce que d’aucuns
appellent à juste titre misère de la littérature. Ecrire ne repose
plus sur l’exigence mais sur le vif et l’immédiateté, ce qui se jette,
se consomme, prêt-à-porter (à lire) accessible à chacun,
sans réflexion et sans effort. Face au déferlement d’objets
livresques qui aujourd’hui s’entassent en librairie, il m’arrive de
penser que nous avons décidément changé de siècle. L’acte d’écrire
n’est plus hélas du domaine du sacré. Il est tombé entre les pattes
de païens incultes qui se moquent bien de leurs aïeux !
Yves CARCHON