Gil Graff, connue pour être un auteur de polars, prouve qu’elle a, avec
son dernier opus, plus d’une corde à son arc. Rien n’est plus frustrant
que d’être cantonné dans un genre, qu’il soit littéraire ou autre...
Avec Personne ne parlera de nous...
elle nous livre une belle et forte fresque qui retrace les grands
moments de l’histoire de la Catalogne du nord. Roman ambitieux qui
traverse le XXème siècle, englobant la Guerre d’Espagne, la Retirada, le
Camp de Rivesaltes, la Seconde Guerre mondiale, jusqu’ aux élections
calamiteuses de 2002... Dès le début du roman, Rémo et Maria, un couple
de vieux attendrissants et décalés, ouvrent magistralement le livre.
Rémo seul le fermera. Entre l’ouverture et l’épilogue, se déploie dans
tout le livre sur une soixantaine d’années une curieuse complicité entre
ces deux, faite de tendre connivence, de camaraderie dans le combat et
d’humour haut en couleur, voire décapant. Arrivé très jeune à Perpignan
le superbe Rémo va vivre de ses charmes, puis se mettre en ménage avec
une gueule cassé, Victor. Chemin faisant, il rencontre Maria,
aide-soignante qui, très vite, l’entraîne dans son activité militante à
la Miranda, maison qui accueille des femmes fuyant la guerre d’Espagne.
Morceau de bravoure qui nous montre l’afflux des réfugiées qu’il faut
bien soigner et aider à accoucher, passage réussi — comme celui qui
traite des inondations ou celui, poignant, de l’incendie — qui pourrait
s’apparenter aux Désastres de la guerre de Goya. Car Personne ne parlera de nous...
est une fresque noire qui parle des Invisibles, (nom donné aux homos
dans l’entre deux guerres), des obscurs, des laissés pour compte, des
sans grades, de ces anonymes qui ont œuvré secrètement durant cette
tragique période pour sauver ce qui restait encore d’humain dans
l’Homme. Gil Graff réussit haut la main son pari plutôt risqué, car rien
n’est plus casse-gueule que de
tenir les rênes d’un roman choral. Elle les a en mains, dans une langue
drue, précise, brassant avec un certain brio la vie de ses personnages
qui nous accompagnent longtemps après avoir refermé le livre. Au jeune
SDF Olivier, qui veut à la fin du livre transcrire l’histoire de la
Miranda, Rémo — sans être assuré qu’une « telle histoire soit dans l’air
du temps » — lui conseille de « raconter la vie tout nue, toute crue ».
On pourrait répondre à Rémo : mission accomplie pour ce qui concerne la
fidélité à la vérité. Pour le reste, on peut rassurer l’auteur : on se
fout complètement de l’air du temps !
Yves CARCHON
Ultima Necat Editions —338 pages— 13 €