J’aimerais saluer ici Propos sur l’Art
de Didier Chiarabini que publient aujourd’hui les Editions du Port
d’Attache
avec le goût et le courage qu’on leur connaît. Qu’on se souvienne
des poésies de Mazari et d’Ughetto parus chez le même éditeur. Ici, dans
ces Propos sur l’art, Jacques Lucchesi donne
expression entière et libre à un artiste-peintre qui nous rend
compte de sa longue, délicate, édifiante expérience. L’aventure est en
soi une gageure, car rien ne prédispose a priori un
peintre à témoigner sur l’art de peindre, ou plus exactement – même
s’il semble le mieux placé – de mettre en mots ce qui le pousse à
peindre ou ce qui fait l’alchimie de sa peinture. Par chance,
– mais ce n’est pas non plus un pur hasard – Didier Chiarabini nous
trousse un bel ouvrage limpide, précis, profond et lumineux. C’est
l’histoire d’un parcours, d’un long cheminement fait
d’exigence et d’une lucidité d’artiste qui prend conscience de son
art, de sa place de peintre, qui s’attelle à sa toile sans devenir, on
l’a compris, ce qu’il appelle de ces
« professionnels du vide » qui encombrent galeries et musées,
« tirant d’une critique peu scrupuleuse des cotes surfaites. » Et ses
notes inspirées par le travail dans
l’atelier, jour après jour, cette réflexion sur son travail concret
finissent par donner vie à un corpus brillant et saisissant.
Didier Chiarabini n’a pas la prétention d’être poète mais, au vu de l’ensemble, on pourrait le penser... Dans ses Propos
sur l’art, tout s’articule autour de réflexions pesées, brèves,
ramassées qui nous renvoient d’ailleurs à l’une d’entre elles, rapide
et ciselée, qui pourrait résumer son ouvrage :
« La limite des moyens donne le style. » On n’en finirait pas de
méditer sur cette sanguine. Mais il y en a d’autres, cent autres qu’on
ne peut toutes citées. En fait, l’auteur procède
en peintre (comment lui en vouloir ?), autrement dit à sa façon :
ici, par petites touches qu’on dirait pointillistes, là au couteau avec
un trait marqué ; si ce n’est au fusain ou
esquissant une formule en demi-teinte, pastel dont il est roi. « Il
faut être léger et ne s’attarder sur rien. » Il parle du dessin qui
« est foncièrement malicieux... qui
entretient avec l’idée, une relation à la fois proche et enjouée. »
Je le soupçonne en le lisant, malgré tout son sérieux, d’être aussi
malicieux ! D’ailleurs, faisant état de son
travail, il contribue à sa façon à démythifier la peinture. La
peinture est un art qui est autant fait par celui qui peint que par le
« regardeur » : « C’est le regardeur qui
fait le tableau, » nous dit-il.
Mais
plus qu’une tentative de démythification, Didier Chiarabini aborde ici
une autre dimension : l’école de la peinture
serait d’abord d’apprendre à regarder : regarder en soi-même,
« peindre moins et regarder plus », comprendre enfin que le plus
important « est dans le regard, non dans la
chose regardée. » Comme on voit, si je m’écoutais, je reprendrais
chaque formule tant chacune renvoie à une méditation sur l’art, saine et
salutaire. Mais je ne ferais qu’en déflorer
l’essence. Mieux vaut se plonger et lire ce poème de
livre, le relire, revenir à lui en butinant son suc mais comme on
regarderait une toile aimée, inlassablement.
J’invite donc à lire dès que possible Didier Chiarabini qui m’a
rendu bien curieux de sa peinture, dont je sais déjà qu’en qualité
d’artiste, il n’a pris « la place de
personne » mais « a inventé la sienne ».
Yves CARCHON