A propos de Du monde et du changement

Une fois n’est pas coutume, je donne ici à lire un article récent d’Yves Carchon sur l’un de mes propres ouvrages, « Du monde et du changement » (éditions Clapas), paru voici une dizaine d’années et malheureusement épuisé. Mais la discussion sur ce sujet indémodable reste ouverte.
   
N’étant pas philosophe, j’avancerai en sioux pour rendre compte de mes diverses lectures de votre ouvrage intitulé Du monde et du changement, ou du moins en critique littéraire, autrement dit exonéré de tout esprit spéculatif (carence qui m’arrange bien). Vos Six lettres philosophiques s’inscrivent dans une tradition qui n’a hélas plus cours : celle de l’échange épistolaire cher à nos philosophes des Lumières. Un genre qui incitait lecteurs d’hier comme d’aujourd’hui à s’ébrouer dans le savoir avec plaisir et volupté. Bravo de renouer avec ce genre qui sut allier clarté du style, limpidité de la pensée, réflexion sur le monde ! Ici, nous ne lisons que les missives qu’envoie un philosophe âgé à un jeune homme qui écrit un mémoire, dont nous n’avons qu’un vague écho : lettres précises, affectueuses et débonnaires qui, sous un ton bonhomme, lèvent des lièvres philosophiques.
Il y est fait d’abord état dans une première Lettre de ce que d’aucuns nomment l’accélération de l’histoire à une époque, la nôtre, où les apports technologiques ont insufflé une vélocité plus grande à nos actions et à nos vies. Mobilité facile, accès rapide à de nouvelles données et connaissances, donc notre perception du monde ne peut qu’avoir changé. Le monde pour autant vit-il un changement ? Qu’est donc le monde d’abord : « tout ce qui arrive » dixit Wittgenstein ou, comme Wolff le déclare, est-ce « la conscience, comme le  langage, (qui) fait monde » ? Par chance, notre capacité d’abstraction nous aide à prendre du recul, à nous représenter le monde. On pense évidemment au grand Schopenhauer, qui est d’ailleurs cité, et à son Monde comme volonté et comme représentation. Pour lui, où commence l’objet finit le sujet.
Il apparaît ailleurs, dans une Lettre lumineuse, que notre monde est plus en mouvement qu’en réel changement, le changement ne signifiant pas pour autant un renouveau. Pour les frileux, le modus vivendi serait de « savoir rester assis en repos dans une chambre » et de ne plus bouger.
Une autre Lettre, en réponse à une interpellation du jeune homme qui ferraille philosophiquement, nous parle de l’histoire humaine, des évolutions dans nos mœurs et coutumes, et, dans le cadre naturel, de profondes et futures mutations écologiques. Il est noté qu’en Occident l’homme vit relié à des réseaux, informatiques ou satellites, alors qu’il en existe un autre vivant dans la forêt amazonienne avec arcs et flèches. L’évolution de l’homme n’est pas synchrone. Et nos technologies, qui évoluent trop vite, débordent nos mentalités.
La cinquième Lettre parle du savoir, long processus d’apprentissages et d’expériences. Nous voilà modifiés par le savoir sans cesse distribué, souvent anarchiquement, par la télévision et aujourd’hui le Net. La télé nous montre des images, des représentations partiales du monde mais pas le monde. Il nous faut voyager pour en sentir la multiple richesse et se frotter concrètement à son écorce.
Enfin, dans la dernière Lettre, une question est posée et qui sonne, semble-t-il, comme un glas : sommes-nous prêts, nous autres Occidentaux, à supporter un changement profond, voire radical ? Pas si sûr, si nous sommes en manque de futur. Notre fragilité devrait nous acculer à « rester humbles et vigilants ».
Il va sans dire que ces Six Lettres, dix ans après leur parution, n’ont rien perdu de leur vigueur. Même si le texte et ses concepts exigent un minimum de rigueur, la forme épistolaire allège la réflexion. On attend une suite au risque de devoir toujours se répéter !
                                             Yves CARCHON