Vernon Subutex 1, de Virginie Despentes

J’ai toujours eu des réticences à lire les contemporains vivants primés ou glorifiés par les médias… Et pour Virginie Despentes (comme pour Houellebecq), j’ai dû attendre qu’on ne parle plus d’elle et que retombe la fièvre médiatique pour m’y coller. Trop de bruit à la sortie d’un livre, trop de tapage médiatique gâchent souvent sa découverte spontanée. Il est vrai qu’il y a deux ans, j’avais entendu Despentes (de la Croix-Rousse) parler de Subutex 1 aux Quais du Polar à Lyon et qu’ayant moi-même vécu dans cette bonne ville, je savais qu’elle y avait écrit Les chiennes savantes… Me plongeant dans Subutex 1, je n’ai pas été déçu. La vigueur du style, l’ampleur du propos et la multitude des personnages signifiants sont bien là. Drôle de nom que Subutex, mais on le comprend très vite pour peu qu’on cherche dans Google. Pour Vernon, on pense au pseudo de Boris Vian, Vernon Sullivan mais surtout au lacanien vers-non. Le pitch de Subutex 1 pourrait se résumer à l’errance d’un quinquagénaire déclassé en quête d’amis de jeunesse (que sont mes amis devenus), qu’il retrouve mariés, rangés, embringués dans des boulots peu reluisants ou des jobs de prédateurs, quand certains ne sont pas morts, n’ayant pu survivre à la vie d’artiste ou n’ayant pu supporter la gloire, ici musicale. A la rue se retrouve donc Vernon, suite à une dégringolade sociale programmée par le système puisque que son commerce – Subutex était disquaire – a fermé boutique. Le lecteur suit donc Vernon dans une odyssée qui le conduit d’un squat chez plusieurs ami(e)s à un divan provisoire chez un ancien pote pour garder un chien, quand il n’est pas disc-jockey un soir chez un trader maléfique, plutôt vérolé sur les bords… Des portraits, beaucoup de portraits, tous criants de vérité. Au gré de ses pérégrinations, Vernon doit affronter de pathétiques retrouvailles avec d’anciennes femmes qu’il a connues, qu’il ne reconnaît plus et qui elles-mêmes le trouve has been quand elles ne le jettent pas dehors. A la fin de cette première partie de Subutex, on retrouve Vernon faisant la manche et dans l’obligation de faire la queue à la soupe populaire. Il y a une intrigue dans ce récit, plutôt lâche, autour d’un ancien et renommé rocker que Subutex aurait enregistré juste avant sa mort et dont il détient, sous forme de bobines, une manière de testament, lequel serait recherché pourrait être négocié et que le magnifique personnage de La Hyène est censé récupérer… Mais ce n’est pas là l’essentiel du bouquin. Vernon Subutex offre, à la manière d’un La Bruyère, une série de portraits saisissants d’hommes et femmes en prise avec les questionnements, les drames et problématiques d’aujourd’hui. Des portraits sans concession, efficaces, taillés au diamant qui, mine de rien, donnent une vue en coupe d’une étrange et fabuleuse galerie de caractères propres à notre époque. S’il n’y avait que ça ! Il y a plus. Moi qui suit un fan de Céline, j’ai cru reconnaître en Virginie la petite nièce de notre imprécateur des Lettres, y compris – surtout - quand sa prose devient ouvertement et franchement politique… Avec Subutex, elle renoue avec une veine drue, une vision du monde abrupte et saine qui traverse l’histoire littéraire depuis Rabelais. Pour ce Subutex-là (je vais me ruer sur le deuxième en attente du troisième), je salue bien bas une grande dame des Lettres qui nous parle de la vraie vie, du dérèglement du monde qui pèse sur nos pauvres vies et détruit ce qui nous fait tenir encore debout et flageolant comme Subutex.
Yves CARCHON (Dimanche 15 mai 2016)