Bestiaire, d'Etienne Ruhaud

Dans son étude sur « Les Chants de Maldoror », Gaston Bachelard soulignait le caractère visqueux du bestiaire ducassien. On peut se demander ce que le vieux philosophe rationaliste aurait pu écrire sur le recueil d’Etienne Ruhaud, simplement titré « Bestiaire ». Car les créatures imaginaires qu’il offre à notre réflexion sont aussi – à l’exception des Centaures – de celles qui rampent et affectionnent l’élément Eau. Voici, par exemple, les biens nommés Ouranis, sortes de « nénuphars colorés qui éclairent la nuit océane », ce qui serait une très jolie chose s’ils n’étaient dotés d’une voracité à toute épreuve. Ou ces Larves dont « les œufs microscopiques forment une vague jaunâtre ». Il y a aussi les Caloplans qui adhèrent irrésistiblement aux murs de votre salle de bain. Ou – pire encore – les Truffes, « cônes translucides » qui colonisent les estomacs. Mieux vaut arrêter ici la description de cet univers glauque et inquiétant dont la noirceur et l’humour froid ne sont pas sans rappeler les plus belles pages de Lovecraft. Car Etienne Ruhaud se révèle être un orfèvre du verbe. Il excelle dans la description minutieuse et érudite de ces créatures fantastiques qui semblent tout droit sorties de ses cauchemars d’enfant. On ne peut quitter qu’à la dernière page ce recueil sitôt qu’on l’a ouvert. Ce qui est d’autant plus aisé que l’ensemble ne fait, en tout et pour tout, que treize petites pages. Quelle frustration ! C’est dire que l’on attend impatiemment une suite.
(Editions La Porte, 4 euros)
Jacques Lucchesi