Maudit Blues, d’Yves Carchon
Entre le roman noir et
le cinéma, des passerelles ont été bien vite jetées. Hollywood, on le
sait, a fait une grande consommation de ces oeuvres
destinées à un large public et dont les auteurs étaient souvent ses
propres scénaristes – tel Raymond Chandler. Qu’un écrivain contemporain
fasse entrer les mythologies cinématographiques dans un
canevas romanesque, quoi de plus compréhensible ? C’est ce qu’a fait
Yves Carchon avec « Maudit Blues », premier opus d’une trilogie emmenée
par l’inénarrable « privé »
Fragoni. Dans ce roman qui marie habilement terroir et terreur, les
clins d’œil au 7eme art abondent, à commencer par le personnage
principal de Deborah Worse, condensé de toutes les femmes
fatales – et ménopausées – du grand écran. Quoiqu’ayant depuis
longtemps désertée les plateaux de tournage, elle n’en continue pas mois
à susciter bien des passions. La moindre ne sera pas celle
du jeune Paul qui décide de l’enlever et de la séquestrer dans sa
résidence de Saissac, au cœur de la Montagne Noire. Va alors s’ensuivre
un interrogatoire particulièrement cruel où la star
déchue va livrer à son tortionnaire des pans entiers de sa
biographie - pour notre plus grand plaisir de lecteurs. Jusqu à ce que
les masques finissent par tomber, comme dans toute bonne
tragédie. Ce ne serait pas servir ce roman particulièrement haletant
que d’en dévoiler ici tous les arcanes. Mieux vaut insister sur le
bonheur de lecture que sa prose sensuelle et racée
procurera à tous ceux qui l’ouvriront, sans doute pour ne plus le
lâcher qu’à la dernière ligne. Avec « Maudit Blues », Yves Carchon nous
prouve sans l’ombre d’un doute tout ce qu’un
auteur inspiré peut faire avec un genre réputé mineur – mais nous
savons bien que c’est faux – comme le polar. Est-ce que le cinéma, à son
tour, s’intéressera à ce roman qui lui ressemble
tant ? On ne peut que le souhaiter.
Les Presses Littéraires, 13 euros.
Jacques
LUCCHESI