Maltalents", de Jésus Manuel Vargas



Un nouveau Jésus Manuel Vargas est toujours attendu avec fièvre. Son tout dernier opus, Maltalents, vient juste de sortir. L’écrivain qu’on connaît, qui cache sous des paroles et un rire bienveillants, acuité du regard et sens de la formule, a su une fois de plus nous concocter un cocktail incendiaire dont il a le secret. Sans l’air de vouloir y toucher, il joue en virtuose sur plusieurs cordes littéraires avec œillades marquées au cinéma qu’il chérit tant. Ce roman-là a donc deux fées penchées sur son berceau : Littérature et Cinéma. Ainsi, pourra-t-on dire qu’il y a de la Guerre des Etoiles, du Seigneur des Anneaux, de l’Iliade certes aussi et autres gestes héroïques dans Maltalents. De l’épopée, du grand cinoche, on le répète (Vargas nous fait son cinéma, mais en 3D), de la chanson de geste et autres chants guerriers. Forme oubliée de la chanson de geste que ressuscite un Vargas affûté, dont le texte tendu restitue les faits d’armes accomplis, les prouesses physiques, les luttes merveilleuses contre des monstres et des forces maléfiques d’une incroyable armée formée pour conquérir et pour tuer. Je dirais même aussi : pour créer des histoires. Et c’est là que l’auteur nous fait passer à travers le miroir, lieu idéal pour écrire un roman et inventer des mythes. Des histoires ? Maltalents en regorge ! Venons donc justement à son pitch : un couple, le narrateur-écrivain et sa compagne Gloria, s’installe dans une maison qu’ils doivent faire leur (on pense à Rosemary’s baby). Parallèlement, on entre dans l’histoire qu’écrit le narrateur. Il y est raconté l’histoire d’un jeune garçon qui, ayant fui la cadre familial éclaté en morceaux, se retrouve hébergé dans un lieu très bizarre : La Pépinière, institut où sont recueillis de jeunes sans-familles pour suivre une rééducation en règle. Là officie le Professeur Fungi (réminiscence des Fungi de Yuggoth de Lovecraft ?), Fungi donc, maître-penseur faisant froid dans le dos. D’autres formateurs (du verbe formater) sont là pour conditionner ce jeune monde qui ne demande qu’à apprendre et surtout à grandir dans tous les sens du terme : deux maîtres es-guerre, le Colonel Stone et le Sergent Peebles (encore le cinéma, Oliver et Kubrick de Full Metal Jacket ?). Un ami de galère, Le Chien, prend sous son aile le narrateur et l’accompagne à la division de Manipulation des Masses où ils sont affectés. Tout un programme dont on assiste au déroulé. Pas triste : carnages sanglants, cyniques, sans le moindre état d’âme. Mais Vargas nous la joue grandissime, avec une perfide et maléfique habileté dans l’agencement du récit, alternant les scènes domestiques du couple, et horreurs de la guerre, étripages et autres règlements de compte entre condisciples de la Pépinière qui s’entretuent pour cause de Brise rouge. Il faut bien sûr voir là une métaphore de notre triste monde mais vu peut-être à travers les rêves d’un gamin, s’imaginant en Superman voulant sauver la Veuve et l’Orphelin et dont, l’âge mûr venu, les espérances ont fait un fantastique flop. La Brise Rouge est-elle une maladie ou simplement un mal de vivre ? Qui peut le dire ? L’auteur ô combien inspiré ? Evidemment, ces récits angoissants de bruit et de fureur sont émaillés miraculeusement par quelques réflexions senties sur l’écriture, avec entre autres une qui paraît évidente à Vargas : il nous faut raconter inlassablement des histoires, les raconter aux autres et à soi-même, sachant que la chanson de geste est celle que nous faisons et choisissons, que nous restons les artisans de nos propres destinées et qu’un bouquin comme Maltalents, écrit de main de maître, préfigure on le sait, d’autres histoires à venir. Merci, monsieur Vargas ! Nous ne pouvons décidément avoir de maltalent à votre égard !
Yves CARCHON