« Léopardi, il giovane favoloso » de Mario Martone

Contrairement aux biopics de peintres, l’évocation cinématographique d’une personnalité littéraire ne peut compter sur les images pour mettre en valeur son œuvre. Car, malgré leur caractère essentiel, on ne peut pas filmer durablement la pensée et l’écriture qui la traduit sans risquer de tomber dans des méandres rébarbatifs pour le spectateur lambda. A cela, seul Alain Resnais a peut-être fait exception avec son « Providence » (1976). De fait, les biographies d’écrivains à l’écran mettent l’accent sur leur vécu plutôt que sur leur travail. Il est vrai aussi qu’il y a des vies plus romanesques que d’autres. 
Le long film (2H20) que consacre aujourd’hui Mario Martone à Giacomo Léopardi – peut-être le plus grand poète italien après Dante – se place d’emblée dans cette mouvance. Seuls quelques poèmes en voix off (comme le célèbre « Genêt ») viennent rythmer, de temps à autre, l’action du film qui nous transporte dans l’Italie du début du XIXeme siècle. C’est peu, certainement, pour ses admirateurs. Mais il y a une photographie recherchée et une foultitude de notations sur les goûts et les mœurs de cette époque déjà lointaine. Il y a les voyages et les séjours que fit l’auteur des Canti entre Naples, Rome et Florence, ses échanges littéraires et ses amours avortées, notamment avec la comédienne Fanny Targioni-Tozzetti (jouée par la belle Anna Mouglalis). Il y a sa longue et trouble relation avec Antonio Ranieri qui l’accompagna jusqu’au bout. 
Car le film est aussi une ode à l’amitié par une sorte de contrepoint aux errances de l’amour. Il y a, enfin et surtout, l’extraordinaire composition d’Elio Germano dans le rôle du poète disgracié. En le voyant s’incliner toujours plus vers la terre, on imagine les efforts physiques que le comédien a dû faire pour se glisser dans la peau de ce génie bossu et boiteux (qui, sardoniquement, se désignait lui-même comme un « grenouillet »). Tout cela concourt à la réussite de ce surprenant biopic transalpin dont la vision ne génère pas une seconde d’ennui. Même s’il valait mieux être préparé, par la lecture de ses œuvres, à l’évocation de la sombre destinée de Léopardi. Qui sera le prochain écrivain italien à être magnifié par la caméra? Peut-être Cesare Pavese, cet autre destin brisé, dont plus d’une nouvelle a été portée à l’écran ?

Jacques LUCCHESI