Édition et échoppes à babouches

"De la mentalité boutiquière ": c’est en ces termes peu amènes que l’écrivain et journaliste marocain Driss El Khouri résume l’esprit et la lettre animant les professionnels locaux de l’édition.
Fin des années 80, dans un célèbre pavé lancé à l’adresse des éditeurs marocains, et qui fit beaucoup de bruit, l’auteur n’hésita pas à brosser un tableau des plus sombres de ce que pouvaient être les us et coutumes en vigueur chez les professionnels du livre (livre culturel s’entend). Amateurisme avéré ; ignorance de la chose culturelle ; choix éditoriaux approximatifs ; népotisme ; chiffres équivoques des tirages ; distribution défaillante ; accompagnement médiatique quasi inexistant, bref, les maux dont souffrirait l’édition marocaine demeurent d’abord, selon lui, le fait des professionnels eux-mêmes.
À noter que cette activité se résume en tout et pour tout à une vingtaine de petites structures, dont à peine 4 à 6 unités tournant régulièrement pour une moyenne de 10 publications par an et un tirage de 1000 à 2000 exemplaires.
Et l’auteur de se demander s’il est encore permis de " tenir une maison d’édition comme on tient une échoppe à babouches…".
Ce pamphlet remontant à plus d’un quart de siècle, il semble toujours d’actualité, preuve en est la place qu’occupe l’édition marocaine parmi celles des autres pays arabes, notamment l’Egypte et le Liban. Aucune comparaison possible, tant le fossé est grand. Et ce n’est pas faute d’auteurs marocains publiables, les éditeurs moyen-orientaux en savent quelque chose (roman, nouvelle, poésie, essai).
Bien entendu, on pourra toujours sortir les clichés habituels, situant le problème de l’édition plus loin, dans une configuration « macro-structurelle » d’ensemble, telle l’insignifiance du soutien public à l’édition, la quasi inexistence d’habitudes de lecture dûment établies, la prééminence de l’image sur l’écrit…Or, on oublie qu’il s’agit-là de problèmes communs à tous les pays dont le niveau socio-économique est plus ou moins comparable à celui du Maroc.
Reste donc la solution préconisée plus haut, la seule d’ailleurs.
Il faut que les éditeurs marocains arrêtent avec leurs échoppes à babouches et passent vite à autre chose, depuis le temps qu’on leur en fait grief à juste titre, et par qui de droit, les Choukri, Khatibi, Zefzaf…

Aziz Zaâmoune