Pour quoi, et
comment ?
Il est clair pour quiconque se
tient un peu informé que la fin de notre monde a commencé.
Puisque face au chaos grandissant
engendré par la mégalomanie économico-financière nous avons tant de raisons de
désespérer, pourquoi voulons-nous continuer à vivre, pire, à nous battre pour
la vie – pour ce que nous estimons être la vie ?
La réponse est simple :
parce que nous la trouvons encore belle, et que nous avons donc
encore envie de la défendre, de la vivre et de la partager.
Nous avons, c'est vrai, de plus
en plus de mal à la trouver belle, cette vie, cernés comme nous le sommes tous
par la laideur, la bêtise, la méchanceté et le mensonge – y compris,
trop souvent, par notre propre laideur, notre propre bêtise, notre propre
méchanceté, et nos pauvres dénis mensongers.
De là notre envie d'explorer les
sentiers de vie que dans le chaos ambiant nous pouvons encore emprunter, et de
rassembler les raisons très heureusement déraisonnables qui nous donnent à
croire que notre vie a peut-être encore un sens, qu'elle vaut du moins la peine
d'être vécue.
Il nous semble que plus nous
parviendrons à évoquer de façon personnelle nos raisons de vivre et à les
partager, plus elles s'avéreront semblables, pour l'essentiel : nous avons
tous plus ou moins, diversement incarnés, mêmes désirs et mêmes besoins très
simples qu'en aucun cas ne peut satisfaire le fonctionnement pervers que nous
avons laissé s'installer sous la houlette d'une minorité d'hommes de pouvoir
dont l'avidité aussi nocive et criminelle que stupide témoigne de leur
fondamentale impuissance à être et à laisser être, à vivre et à laisser vivre.
Pour nous, parler est essentiel.
C'est s'engager contre le mensonge institué et la dénaturation du langage par
la « communication » et partager les expériences qui peuvent nous
aider à devenir ou redevenir, très modestement et concrètement, humains.
Ce sont souvent de toutes petites
choses qui nous donnent envie de vivre, comme en témoigne la petite histoire
que voici, minuscule, dérisoire mais authentique raison, contre toute
« raison », de vivre :
LE POT DE FLEURS
C’est un pot en terre cuite
ocre, un pot de taille moyenne, ni petit ni vraiment grand, déjà un beau pot.
Il croit bien qu’il l’a acheté
au marché l’an dernier et qu’il contenait deux plantes dont il ne se rappelle
plus, qui sont mortes cet hiver au fond de la cave.
Il n’en reste qu’une bouffée
de paille fine et deux ou trois tiges sèches.
Il a failli retourner le pot
et verser comme d’habitude son contenu sur le bout de terre où poussaient
autrefois des haricots verts et des fraises, et qu’il laisse désormais en
jachère faute de temps.
Puis il s’est dit :
« On ne sait jamais… » et l’a posé entre le rosier qui a si bien
repris et la porte de la remise, juste assez loin du mur pour que le terreau
reçoive la pluie.
Il l’a même arrosé, au cas
où...
Il est passé à autre chose, a
oublié. C’est vrai, la vie continue.
Passant devant un mois plus
tard, il a distingué entre les brins de paille, à peine visible tout au fond,
la fragile amorce d’une pousse.
« Tiens… » s’est-il
dit.
Pour voir, il a de nouveau
arrosé, a mis un peu d’engrais.
Quelques jours plus tard, il
est repassé. Une plante semblait vouloir pousser, de petites feuilles ovales un
peu pointues du bout, joliment vernissées.
Il s’est demandé ce que ça
pouvait être, a remis un peu d’eau et d’engrais.
Puis il a dû s’absenter, six
semaines, et s’est dit qu’elle allait sécher.
Il a été content de retrouver
son jardin.
Il avait complètement oublié
la plante.
Au matin, en allant chercher
un outil dans la remise, il a remarqué du coin de l’oeil un changement dans le
pot. Il a pris l’outil, et en ressortant, après avoir fermé la porte, il s’est
penché pour regarder le pot.
En fait il a regardé la
plante, parce que le pot, on ne le voyait plus beaucoup. Ni la touffe de paille
fine.
Elle avait beaucoup grandi, la
plante !
Elle avait fait deux belles
tiges de feuilles charnues, d’un vert profond, l’une verticale, lancée à
l’assaut du ciel, l’autre penchée et retombant en une courbe gracieuse vers la
terre.
Celle qui défiait la pesanteur
portait deux boutons, des bulbes cramoisis tirant sur le mauve, et deux fleurs
dont le bulbe s'était ouvert pour laisser apparaître des pétales blancs en
clochette au centre desquels pointait un fin pistil mauve. Elles retombaient
langoureusement vers le sol, comme toutes celles, bien plus nombreuses, que
portait la branche qui s’était abandonnée à son propre poids.
Toutes ces petites cloches
semblaient sur le point de sonner la joie de refleurir après avoir manqué mourir.
Il est resté un moment
immobile, pétrifié – et comme illuminé.
Puis il a pris le pot avec
précaution, l’a soulevé bien haut, et les rameaux plongeants ont déroulé comme
une cascade leurs grappes de fleurs inouïes.
Il a porté le fuchsia sur la
terrasse, l’a suspendu sur le balcon, l’a délicatement nettoyé de la paille et
des tiges mortes, et pour finir l’a arrosé lentement, juste ce qu’il fallait.
Il est rentré travailler.
Peu après le dîner, au soleil
couchant, il s’est assis devant le fuchsia et ils se sont regardés.
Dans la nuit, il a rêvé que
c’était le fuchsia qui l’avait cueilli, et qu’à son tour il allait refleurir.
Nous sommes arrivés à un moment
où il devient impératif de choisir entre forces de mort et forces de vie.
Contribuer à enrayer l'inhumaine évolution actuelle en usant de ce qui demeure
de la liberté de parole constitue un enjeu capital pour notre survie. L'espèce
humaine est devenue trop puissante et trop dangereuse pour elle-même et pour le
monde auquel elle appartient : sous peine de disparaître, il lui faut
cesser ses puérils jeux de pouvoir. Le règne de l'avoir, du toujours plus,
touche à sa fin, le temps d'être, et d'être en harmonie avec le monde qui nous
entoure est venu.
Très concrètement, il s'agit de
se demander ce qui pour chacun de nous, chaque jour, fait pencher la balance du
côté de la vie.
Nous pourrions ensuite nous
demander comment ces forces de vie pourraient être mises au service de la vie
et contribuer à lui redonner un sens, à l'opposé des dirigeants actuels,
obsédés depuis un demi-siècle par une suicidaire course au pouvoir et au
profit.
Ces questions, il nous semble que
cela vaudrait la peine de les poser à tous autour de nous, de proposer à chacun
d'y réfléchir et de tenter d'y répondre à sa manière, puis de nous envoyer ses
réponses.
De cet ensemble de contributions
finirait peut-être par se dégager un consensus authentique, que nous imaginons
en tout point opposé à la pensée unique néo-libérale, produit d'une conception
de la vie strictement quantitative, dont il est désormais évident qu'elle est
contre nature.
Les questions que nous souhaitons
vous poser comme nous nous les posons, et auxquelles nous aimerions que vous
tentiez vous aussi de répondre, pourraient se formuler ainsi :
- Au-delà de l'instinct de conservation
(qui semble bien être aujourd'hui, particulièrement sur le plan collectif,
largement inhibé), qu'est-ce qui nous pousse à vivre ?
- Qu'est-ce qui fait qu'il nous
est encore possible de vivre ?
Alain Sagault et Jean
Klépal
vous remercient de
vos réactions.