Frédéric Sudupé : Oisif définitif (roman)



 Si le travail est à l’origine du développement – prodigieux – de l’espèce humaine, force est de constater qu’il est aussi l’un de ses principaux problèmes. Du reste, il a toujours été inégalement réparti, souvent catégorisé (travail noble, travail indigne) et fait l’objet de maintes propositions utopistes qui avaient toutes en commun la diminution de sa durée. Malgré une notoire promotion des loisirs, la société moderne n’a jamais pu le désimpliquer de sa contrepartie salariale. Et si, de nos jours, beaucoup ne gagnent plus leur vie à la sueur de leur front, il leur faut encore consacrer au travail sept à huit heures quotidiennes, souvent dans des conditions de stress et de pressions pathogènes.
Dans ces conditions, on peut comprendre que certains veuillent échapper à ce triste sort, quitte à se mettre à dos les chiens de garde du patronat. C’est la situation du narrateur de cette curieuse histoire qui, à trente ans passés, vit entre sa mère et Célestine, sa compagne du moment. Ne comprenant pas sa sereine oisiveté, elles le poussent à postuler à un emploi peu folichon de nettoyeur de grandes surfaces dans la bien nommée société Place Nette. C’est là, durant une morne journée de formation, que le miracle va se produire. Car une bonne fée s’est glissée dans ce bataillon de nouveaux prolétaires pour en arracher quelques-uns à leur lamentable destin. Parmi eux, il y a le narrateur et son ami Legrec. Ils vont ainsi découvrir, avec le cadre huppé de leur nouvelle résidence, le bonheur d’être employés au service de Madame, sans la moindre contrainte en retour. C’est ce qu’on appelle être payé à ne rien faire et, comme on le suppose, cela ne va pas de soi, génère inquiétude et rivalité. La fin de cette histoire douce-amère rejouera le drame du vieil Adam, chassé du paradis terrestre. Mais on ne vous dira pas ici qui en sont les instigatrices…
Paul Lafarge, l’auteur du célèbre pamphlet Le droit à la paresse, aurait sans doute apprécié cette fable malicieuse portée par une prose qui ne s’embarrasse guère de soucis formalistes. Son personnage principal  s’inscrit dans la lignée, déjà longue, des anti-héros littéraires, avec leurs risibles manies et leurs sympathiques faiblesses: car c’est peu dire que la littérature moderne n’en est pas avare. Alors, en attendant l’instauration d’un revenu universel, on ne saurait trop recommander la lecture de Oisif définitif à tous ceux – et ils sont nombreux - que le burn-out menace.

Editions Lostral, 195 pages, 15 euros

                                                        Jacques LUCCHESI