Mauricette Beaussart mène une
vie solitaire mais paisible à Wittebecque, petite ville des Hauts de France.
Livres, musique et pauses gourmandes avec des amies tissent la trame de ses
journées. Pourtant, sous cet épicurisme de bon aloi, on apprend vite que la vie
n’a pas été tendre avec elle, que les morts peuplent son esprit encore plus que
les vivants, à commencer par ses propres parents tôt disparus.
Un jour, dans une librairie,
elle rencontre Blanche, musicienne et chanteuse lyrique, par ailleurs mère de
famille comblée. Pour Mauricette la délaissée, c’est une sorte de coup de
foudre – même si tout nous laisse penser que leur relation est d’ordre platonique.
Sa présence va lui donner une raison supplémentaire de vivre et d’écrire. Des
sorties et des échanges culturels
s’ensuivent entre les deux femmes. Peu à peu, Mauricette s’investit
affectivement avec Augustin et Benoit, les deux enfants de Blanche. Jusqu’au
jour où l’accident d’un des deux frères va bouleverser cet équilibre…
Déjà auteur, en 2009, de
La patience de Mauricette, Lucien Suel a donné trois ans plus
tard une sorte de suite à cette
existence malmenée mais attachante. Une succession de courts chapitres
composent ce roman écrit à la première personne, au carrefour du récit et du
journal. Les phrases sont brèves, l’écriture limpide et entraînante. Suel multiplie les notations impressionnistes sur
la vie quotidienne, saison après saison. Il y distille aussi une partie de sa
vaste culture à travers des références à des livres, des films ou des disques.
On disserte sur Flannery O’ Connor, Rimbaud, Céline, Van Gogh, Billie Holiday
ou Renée Flemming. Souvent, en fin de chapitre, le poète qu’est profondément
Lucien Suel revient à l’assaut avec des jeux de mots, des asyndètes et des
assonances. Mais ce qui est encore le plus troublant, c’est l’identification –
littéraire – de l’auteur à son personnage principal. Tout comme Flaubert avec
Emma Bovary, Lucien Suel pourrait dire « Mauricette Beaussart, c’est moi. ». Ce faisant il signe, lui
aussi, un admirable roman du rien. De ce rien qui est – presque – tout pour
nous.
Editions La Table Ronde, 18 euros
Jacques Lucchesi