Yves Carchon : Le sanctuaire des destins oubliés





Venu tardivement à l’écriture de polars, Yves Carchon y a apporté une culture d’humaniste  qui bouscule sensiblement les codes du genre. Avec lui le polar n’est plus un roman de gare mais devient une œuvre de l’esprit à part entière. C’était déjà le cas pour Vieux démons, enquête complexe et riche en références historiques. C’est encore plus vrai pour Le sanctuaire des destins oubliés, son nouveau opus aux mêmes éditions Cairn. Ici pas de meurtres sadiques à élucider, pas de complot politique non plus, mais une enquête, palpitante et mystérieuse, sur la personnalité d’une femme. En l’occurrence c’est celle de Lola Delavigne, jeune libraire barcelonaise que Lucas Delmon, le narrateur, a aimée passionnément vingt ans plus tôt. C’est un indice photographique, en partie lié à un don personnel, qui va mettre le feu à sa mémoire et l’entraîner, de Perpignan à Barcelone, dans une recherche tant spatiale qu’ésotérique. Elle va lui faire rencontrer une série de personnages plus ou moins extravagants, plus ou moins pathétiques, (un collectionneur de livres rares, un rabbin, un rescapé des geôles franquistes, entre autres) qui vont tous lui révéler une facette de la femme aimée. Mais Lola, si espérée, si fantasmée, sera-t’elle au rendez-vous lorsque Lucas parviendra à l’ultime case de ce fascinant échiquier ?
Ce roman, par bien des aspects, aurait pu s’intituler « identification d’une femme » si ce n’était pas déjà le titre d’un film de Michelangelo Antonioni. Comme dans les précédents livres de Carchon, c’est encore l’Espagne  - ici Barcelone - qu’il met à l’honneur avec une précision de guide touristique. La fluidité de son écriture fait que l’on a du mal à le lâcher sitôt les premières pages lues. Ce faisant, Yves Carchon signe là une œuvre de toute beauté que l’on pourrait qualifier de polar romantique. Et ce n’est pas la fin, fantastique à souhait, qui démentira cette assertion. Souvent, au fil de cette lecture, on a le sentiment que l’auteur a distillé dans ce livre quelques vieux secrets intimes. A moins que ce ne soit une ruse à mettre au compte de son art. A commander sans hésiter.
(Le sanctuaire des destins oubliés, 243 pages, 10 euros)

Jacques Lucchesi