Matthieu Lorin : Proses géométriques et arabesques arithmétiques



  Rares sont les premiers recueils de poèmes qui sont déterminés par un concept. Le principe de la sélection l’emporte souvent, durant la jeunesse, sur la rigueur d’une écriture orientée et homogène. Ce n’est pas le cas pour Matthieu Lorin qui s’est donné d’emblée une méthode et un champ de références symboliques pour organiser son imaginaire. C’est d’autant plus remarquable que la science – ici la géométrie – ne s’impose pas spontanément à l’esprit quand on songe à la poésie. Il y a eu certes Raymond Queneau et les mathématiques appliquées à ses Cent mille milliards de poèmes ou même l’expérience minéralogique de Roger Caillois élevée à la dignité poétique dans  Pierres , mais cela reste des exceptions. Du reste, la figure géométrique est, chez lui, moins un objet de méditation en soin que le propulseur d’une écriture de l’intime. Elle donne une forme à des sentiments qui resteraient obscurs et confus sans cela. Car c’est de son ressenti que nous parle avec une pudeur toute allégorique le poète :

« N’oublions jamais que le rêve de l’équerre est de dépasser les 90 degrés, celui du cercle d’avoir des recoins en briques où se terrer et que le compas aspire à l’équilibre.

Savoir cela est rassurant pour moi qui ne suis que biffures et hachures du temps. »

On mesure à cet extrait (qui constitue le poème 33) la richesse réflexive qui traverse ce recueil. Ailleurs, un peu comme des intermèdes, Matthieu Lorin nous propose des exercices de géométrie que même les meilleurs esprits seraient bien en peine de résoudre :

« Malgré la pluie, tracez à la craie blanche un cercle dont le rayon répondra à la distance qui vous sépare de vous-même. Le diamètre ainsi obtenu permet-il d’y faire naître un arc-en-ciel sur lequel se mouvoir librement ? » (Page 17).

Ce faisant il renoue avec la vieille tradition des énigmes poétiques et autres logogriphes que la modernité gagnerait à redécouvrir, ne fut-ce que pour la beauté des formules.

Il faut aussi parler des paramètres plus matériels de ce livre, son papier épais, sa typographie facile à embrasser du regard. Et, bien entendu, des nombreuses illustrations constituées par les aquarelles inspirées de Marc Giai-Miniet – qui est aussi l’éditeur des éditions du nain qui tousse. Tout cela concourt à faire de cet ouvrage un bel objet dont on ne se sépare qu’à regret une fois lu. A n’en pas douter Matthieu Lorin s’y révèle être un poète dont on n’a pas fini de parler.

(Editions du nain qui tousse, 52 pages, 14 euros)

                                                                        Jacques LUCCHESI