NDLR: Nous donnons à lire ici la note de lecture de Franck Merger parue dans la revue Phoenix n° 38
Matthieu Lorin vient de publier son recueil Le Tour du moi en 31 insomnies aux éditions du Port d’Attache. Par ce geste éditorial, le poète signifie-t-il avec un bel humour que son port d’attache est son moi ?
Ce recueil se présente, le titre y invite, comme une suite de 31 poèmes en prose, récits de vie, récits de rêves, récits d’insomnie, éléments d’une autobiographie refusée, fragments d’un miroir brisé, tesselles d’une mosaïque qui représente la condition et les réflexions d’un poète d’aujourd’hui. Le caractère hétérogène et hallucinatoire de cette suite au genre flou n’est pas sans évoquer certains recueils de Michaux, La nuit remue par exemple. Mais ici, la mescaline se trouve remplacée par le donormyl – et c’est là un effet de burlesque, d’humour jaune, caractéristique du recueil de Matthieu Lorin. La tentation lyrique, au double sens de musicalité et de mise en scène (illusoire) du moi, est représentée et déjouée tout à la fois.
Le poète évoque explicitement de grands modèles, poétiques ou non : Faulkner, Gary, Hemingway ; Guillevic, Rimbaud… Des voix poétiques se font entendre en sourdine : outre celle de Michaux, celle de Lautréamont (on entend ici un écho prolongé de ses « beau comme », là son goût pour la représentation des insectes) et celle de Baudelaire. Les textes de Matthieu Lorin qui évoquent l’angoisse s’écrivent sans doute dans les marges des allégories des « Spleens » des Fleurs du mal. Il y a d’ailleurs toute une mise en scène ultra-romantique de l’angoisse du créateur, avec ses chauves-souris, ses lunes insomniaques, ses crânes, son néant…
Ce qui se trouve mis en scène, c’est alors en réalité autant l’angoisse de vivre pour l’homme Matthieu Lorin, que l’angoisse qui vrille la cervelle du poète du même nom et qui pourrait se formuler ainsi : « Et si mes textes étaient de l’esbrouffe ? Et si je me battais les flancs pour capitaliser sur mon angoisse et faire hurler comme des loups mes poèmes, qui ne font entendre en fait qu’un insignifiant crin-crin ? Et si ma tentative d’atteindre à l’altitude de mes grands modèles était un échec ? » Les deux types d’angoisse se fondent en un : « Et si la recherche des vers poétiques ne débouchait que sur du papier noirci d’insincérité, destiné à être rongé par les vrillettes, les psoques, les termites et autres poux du livre ? Et si tout cela était néant ? »
Alors que trouve Matthieu Lorin quand il fait le tour de son moi ? Certainement pas le culte pur et simple de l’ego, mais un rapport ambivalent à la culture : elle nourrit, elle forme, elle devient la matière même de la vie et des songes, mais comment s’en dépêtrer quand on veut créer ? À cette question, Matthieu Lorin apporte ici une réponse, provisoire, précaire, instable – c’est-à-dire ironique : il ne s’en dépêtre pas, il en joue, il se joue de son moi avec humour.
L’humour grinçant et léger, la récriture burlesque et grotesque de modèles aimés et vécus comme inatteignables, c’est là que semble en réalité le port d’attache du poète – dès le titre de son recueil.
Franck Merger