Bien que peu médiatisé, Patrice Blanc n'en est pas moins un poète indiscutable et très prolifique. Depuis La nuit du matin, son premier ouvrage paru aux éditions On @ faim en 1999, il a publié dix-sept recueils (et c'est sans parler de ses nombreux inédits). Sa poésie, très viscérale, très lyrique aussi, a souvent été taxée d'hermétisme : mais de l'obscurité jaillit aussi la clarté.
Quoiqu'il en soit ce jugement ne risque pas de s'appliquer à Pavane pour une mère défunte, tant les dix textes qui composent ce poème en forme de lettre – c'est d'ailleurs son sous-titre- ont la limpidité que donnent aux mots l'urgence à dire et la souffrance. Son titre, évidemment, fait allusion à Pavane pour une infante défunte, cette petite pièce pour piano de Ravel. Et lorsqu'on écoute la lenteur mélancolique de sa phrase musicale, on se dit que c'est un emprunt judicieux. Car le deuil incline toujours au ralentissement et au retour sur soi; mais peut-on faire son deuil avant d'avoir fait une ultime mise au point ?
C'est le sens de cette suite poétique qui, à défaut d'un vrai dialogue, s'adresse à la disparue sur le mode du « tu » pour retracer ses derniers jours, mais surtout évoquer la relation (condensée) de deux existences à jamais liées. Car le lien filial, aussi fort soit-il, n'exclut pas l'amertume des promesses non tenues, les espérances tôt étiolées :
«Dans la froideur de tes cris passe le mal. Tu voulais que je dessine le jour. Que je sois violoniste de jazz. »
Ces sentiments sont universels; ainsi en va-t'il dans toutes les familles. Encore faut-il avoir le talent nécessaire pour en donner une note juste et les faire ainsi advenir à la conscience commune. Ce talent, Patrice Blanc le possède au plus haut point. Il le démontre amplement dans ce poème qui rejoint l'esprit des anciens « tombeaux », ces pièces poétiques destinées à sauvegarder la mémoire d'un(e) défunt(e). Si la blessure de la perte ne peut jamais se refermer complètement, reste le baume de la beauté pour en apaiser la douleur. C'est sans doute sous cet angle qu'il faut lire ce poème d'une rare sincérité.
Jacques Lucchesi