Les Territoires de Jean Bensimon

 





Au fil d’une œuvre qui s’étire maintenant sur quatre décennies, Jean Bensimon nous a habitués à des histoires explorant les méandres de l’âme humaine ; des histoires étranges et tout en nuances, servies par une écriture ciselée et poétique. C’est le propre de la nouvelle – son genre de prédilection - que de permettre ce travail et ce regard sur des instants isolés dans la durée. Et très peu d’auteurs l’illustrent aussi bien que lui.

Avec Territoires, qu’il a publié l’an dernier aux éditions L’Ire de l’ours, il poursuit fidèlement l’exploration de ce sillon, non sans y introduire quelques variations. D’abord, les douze textes rassemblés ici sont présentés comme des récits, c’est à dire une approche narrative plus expansive que la nouvelle, même s’ils en conservent la brièveté. Ensuite, son écriture est plus nerveuse et plus elliptique qu’à l’accoutumée. Il y a enfin une plus grande polyphonie dans ces variations sur la difficulté à vivre, comme s’il assumait à travers eux des voix féminines longtemps refoulées.

C’est le cas pour l’écrivaine de Voisin, voisine ou les trois amies qui, dans Le Golem, se remémorent avec alacrité les soubresauts de leur vie amoureuse passée. Quant à Isabelle, la narratrice de Rentrer sous terre, elle ne pourra pas sauver, malgré sa grande aménité, un vieil ami de son désespoir.

Dans d’autres récits, comme Le tout p’tit ou Vampires, il renoue avec une forme de fantastique, voile d’incertitude jeté sur la réalité quotidienne, ses rencontres et ses phénomènes. Plus symboliques sont Le pays et Fiefs, avec leurs voyages en forme d’initiation dans des contrées mystérieuses.

Mais la notion de « territoire » n’est pas que géographique, elle est aussi et surtout mentale. Et certains n’hésitent pas à repousser leurs limites , quitte à entrer dans l’espace d’autrui et à le dévorer de l’intérieur. C’est le cas, tout particulièrement, pour le personnage de Thierry, agent immobilier au charme carnassier, dans le dernier récit éponyme.

Il faut souligner, pour finir, la part des calembours, expressions et autres répétitions phonétiques dont l’auteur parsème habilement ses récits. De façon quasi psychanalytique, ils contribuent aussi à dévoiler le sens caché des personnages et de leurs actes.

C’est tout cela qui fait de Territoires un livre qui nous donne à réfléchir sur nous-mêmes. Comme devrait l’être tout livre digne de ce nom.


(Editions l’Ire de l’Ours, 136 pages, 12 euros)


Jacques Lucchesi