« Le chien d’un immortel suivi par le chef de dieu», de Lionel Mazari

Un nouveau Mazari ? Vite, ouvrons-le ! On n’est jamais déçu avec un tel auteur ! C’est un poète, un vrai ! D’emblée, si l’on s’en tient à ce qu’il veut bien nous dire en postface, "Le chien d’un immortel..." serait un journal rédigé en attendant la fin du monde, bouteille au néant jetée destinée à n’être lue par personne puisque tout sera à jamais consommé. Heureusement, Armageddon n’a pas eu lieu ! Ce qui nous laisse le champ libre pour lire cette chronique poétique, méditation autour du souvenir et d’un présent dont l’essentiel — toujours selon notre poète — se situerait sur les toits de Marseille ! La facétie, l’apache clin d’œil font partie intégrante du poète. Il serait vain de s’en tenir à ses allégations modestes : dans "D’après la mort", il avait prévenu : « Les choses sérieuses, je ne les fais que seul». Seul est sans doute beaucoup dire ici : ils sont peut-être deux dans "Le chien d’un immortel..." : celui qui dort et l’Autre (je est un autre) qui a profité du sommeil du premier. Ce journal, même si Lionel Mazari l’écrit l’œil rivé sur les toits de sa ville, est une réflexion - coutumière à l’auteur — sur les pouvoirs du poète sur le monde, sur l’action lente, profonde d’une poésie qui modifie soi et le monde. Une réflexion baudelairienne. Mais là, la plume entaille plus profond la chair du monde. La méditation sur de micro événements qu’il a pu observer, mêlés à des résurgences du passé, crée l’acte poétique. Il semble que Mazari ici fasse une pause : oh, certes, il reste toujours aussi vivace, raide, exigeant et bien sûr in-tranquille ! Tant par les thèmes abordés que par les fulgurances ciselées, on n’est bien sûr pas loin de "L’impossible séjour", même si les différents poèmes sont en prose rythmée. On y rencontre au fil des lignes (j’en ai déjà parlé mais j’y reviens) une sorte de dédoublement où le dormeur (des toits ?) feint de céder la place à un fantôme, « quelqu’un s’est inquiété de mon bonheur pour y rêver »... Et le chef de dieu dans tout ça ? Un oncle qui respirait « au large dans le néant facile ». Un dieu sans majuscule. Pan est-il préférable ? Toute la finesse du poète nous souffle que même nos souvenirs peuvent devenir présents si nous ne cessons pas de nous les remémorer ("D’après la mort"), que le réel est affaire de rêve éveillé ou de simple dormance. Alors rôde dans ces poèmes drus et purs l’âme d’un chien, compagnon on le sait du poète, son double en somme penché sur son épaule pour arracher « à l’os... [...du monde] ...quelques morceaux d’étoiles ». Lire Lionel Mazari redonne envie de lire notre bas monde avec des yeux lavés par une pluie « qui s’envole des bras ouverts de l’arbre humain ». Merci à lui ! Sa voix est essentielle. Qu’il n’oublie pas de se « cogner au ciel » pour le bonheur et la plus grande élévation de ses lecteurs !
 
(Editions du Port d’Attache – 6 euros)
 
                                                               Yves CARCHON