Tant que la brèche engendre le mur

Le poète a pour tâche de dessiner sur du dessin, d’écrire sur l’écriture, nous dit quelque part l’écrivain marocain Abdelfattah Kilito. Une assertion on ne peut plus de mise ici, puisqu’il s’agit en l’occurrence de deux œuvres poétiques majeures, l’une d’expression plastique et l’autre littéraire, dont la tâche primordiale de leurs auteurs respectifs, Fouad Bellamine et Mohammed Bennis, aura été jusqu’ici de peindre sur de la peinture et d’écrire sur l’écriture. Avec comme support, dans les deux cas de figure, un mur, le mur de Fès, tel qu’il se dresse omnipotent au travers des deux œuvres.
Le mur de Fès dans tous ses états ambivalents.
Arpentant de long en large - et même de biais - ce mur porteur de tous les palimpsestes passés et à venir, la peinture de Bellamine se veut essentiellement démarche conceptuelle liant le geste à la…mémoire. D’où la prédilection de l’artiste pour le grand format, à même de contenir cette expression, ainsi que le recours quasi exclusif à l’acrylique, technique censée restituer cette mémoire dans toute sa densité « immense et compliquée ».
D’essence lyrique, cette expression abstraite n’en connaîtra pas moins deux étapes essentielles dans son cheminement. D’abord austère et, par ailleurs, difficile d’accès, l’œuvre picturale de Bellamine allait progressivement se décanter et donc, s’émanciper de ce mur clos qui fut le sien durant les années 70. D’où les termes de cette nouvelle approche picturale, à commencer par la lumière poussée à son extrême degré d’intensité : la transparence, que ces réminiscences arrachées une à une au mur accentue, ces quasi représentations entrevues tantôt : l’arcade, l’oiseau… Et il y a la couleur certes, mais plus encore, il y a cette obsession à vouloir coûte que coûte meubler l’espace tableau, histoire, peut être, de se dénicher une perspective, une issue, si infime soit-elle. Avec bonheur ou pas, là n’est plus la question, du moment que ce culte très acrylique - parce que très mural et vice versa – constitue en soi le meilleur des gages quant à la bonne foi de son gourou…
Pour Bennis, il s’agit de donner à voir dans le même mur, à travers son texte Al Makanou Al Wathani (L’Antre païen, éditions Toubkal, Casablanca, 1996). Entendons-nous, c’est du jet initial et spontané, paru en 1989 dans la revue londonienne Mawakif (n°58,1989), dont il s’agit ici, et non du texte revisité plus tard. Toujours est-il que pour le poète, cet éternel solitaire qui n’est « ni héros ni martyr », traverser un mur revient à assumer pleinement sa propre destinée tendant encore et toujours à dériver vers d’autres absolus, selon l’expression de René Char.
Aussi et tant qu’à faire, pourquoi pas une brèche pour entamer ce mur assourdissant ?
Juste une brèche dans ce mur si blanc, pour ouvrir sur les « terrasses de lichen », sur ces « anciennes tours qui se relâchent déjà », sur le cérémonial de ce « grand sacrifice rituel (…) le turban de lin / l’autel / le chandelier de pierre purifiée »…et enfin sur le chant à déclamer, lequel, consécutivement, « ouvrira les portes, toutes les portes du dôme ».
Bref, une brèche par où s’insinuera fatalement la « tribu des mots ». Une brèche incantatoire pour traverser.
Aziz ZAÂMOUNE