Mon grand-père sur le tard s’était fait une tête de sioux. Muet, il ne
parlait plus à personne. A moi parfois, parce que j’étais encore enfant.
« Ta vie, petit, m’avait-il raconté, est comme un cimetière indien où
tu entends le vent souffler dans le crâne des ancêtres. Avec un peu de
chance, leurs os claquèteront encore quand tu auras trente ans, ce qui
n’est pas gagné ! Pour peu que tu sois sourd aux friselis du vent, tu
les croiras morts à jamais. Ce sera faux bien sûr car ils auront
outrepassé la mort. Pendant longtemps, tu passeras ton temps à éviter
leurs sépultures par crainte de les déranger. Mais eux sauront
t’attendre. Un jour, arrivé à un âge canonique, tu ménageras ta monture
ne pouvant plus monter les pouliches que tu veux. Le Grand Esprit se
moquera de toi parce que tes muscles auront fondu. Tu ne pourras même
plus téter de téquila ! Les cigares te feront tousser, le vent s’amusera
dans ta caboche, tu ne sauras même plus quel jour tu es, ni même où tu
habites. Alors le Grand Sorcier t’emportera, léger comme un fétu, dans
les plaines abondantes où paissent les bisons. Tu deviendras sans doute
bison toi-même, mais ce sera une autre histoire. » Grand-père a disparu
au moment même où il parlait. « Tu viens », j’ai dit à mon cheval. Au
petit trot on est parti, traversant l’éternelle prairie où scintille le
soleil.
Yves CARCHON