La
visite au grand écrivain – ici au grand poète qu’est Jean Malrieu - est
un genre aujourd’hui oublié. A croire qu’il n’y a plus ni grand poète
ni visiteur en quête de quintessence poétique... Avec Henri-Michel
Polvan dans Une visite chez Jean Malrieu,
on n’est pas loin du genre. Il y a pourtant un mais : Polvan vient en
ami, en compagnon de route qui a suivi l’itinéraire tant politique que
poétique de Malrieu, non en admirateur faisant ses premières gammes.
Donc nous est épargné le texte hagiographique qui trop souvent hélas
tient au genre. Ici, rien de tout ça et c’est bonheur. En poète qu’il
est, Polvan nous parle d’un frère, d’un météore qui, ayant rencontré
Breton, s’est quelque peu brûlé les ailes à l’aune du réel et de la
dialectique. L’engagement n’a pas toujours bien inspiré les grands
poètes ! Qu’importe ! Polvan dans sa Visite
invite son lecteur à pénétrer dans l’univers limpide et lumineux du
maître sur la pointe des pieds. A petites touches, nous nous asseyons
près de lui, lisons sur son épaule, écoutons s’égrener la Poésie en
mots. Les maux ne sont pas loin. Et tout ce qu’une génération a dû bon
gré mal gré avaler comme couleuvres ! Certains y ont laissé leur âme (je
pense à Aragon), d’autres ont su prendre la tangente, dont Malrieu.
Chemin faisant, à la lecture d’Une visite...on
s’initie aux mystères poétiques, aux pièges de l’Histoire, à ce qui
reste après tous les combats qu’on a menés emplis de rêves et
d’illusions. Ce qui nous reste, c’est justement cette indomptable
réflexion que la poésie mène sur le monde, cet obstiné chemin de feu
qu’elle ouvre pour combler nos béances et nous guérir de nos
insuffisances. Polvan, grâce à l’étroite intimité qu’il a avec Jean
Malrieu, nous donne l’occasion d’être en lévitation totale le temps de
savourer de merveilleuses formules comme « nous avons le sens épique du
bonheur » ou ce beau vers qui clame : « J’attends l’amour comme la
foudre et les voleurs de grands chemins ». L’hommage rendu n’est jamais
ampoulé, pesant, dithyrambique. Il est critique, confraternel et amical,
sans jamais être complaisant. On aimerait bien sûr connaître d’autres
extraits de pages de correspondance entre Malrieu et Polvan. Mais ce
sera sans doute l’objet d’un autre essai... En tout cas, chapeau bas à
Polvan qui par ses souvenirs est loin d’avoir mille ans !