L’école est en crise et les différents spécialistes qui l’auscultent depuis maintenant trois décennies n’ont pu jusqu’ici s’entendre sur une médication radicale, tellement les causes de ce marasme sont multiples. Ce malaise, qui désoriente le corps enseignant et grève ses différentes missions, n’intéresse pas que les sociologues mais aussi les littérateurs et les cinéastes ; il suffit de rappeler ici le succès fait, voici quelques années, au beau film de Laurent Cantet, « Entre les murs ». Ce sujet est aussi celui de « L’école des secrets », le dernier livre en date de Jean Bensimon aux éditions Ovadia. Lui-même ex-enseignant, il a choisi d’aborder les rapports complexes qui se nouent dans un collège moderne à travers un genre dans lequel il excelle : la nouvelle. A ceci près que les dix-huit textes qui constituent cet ouvrage n’ont rien de contingent ni d’opportuniste, mais entretiennent entre eux un lien séminal, une continuité qui les apparente aux chapitres d’un roman. Au fil de ces pages, le projet de l’auteur se dévoile : donner la parole à chacun des acteurs du monde scolaire, qu’ils soient professeurs, pions, élèves ou même conjoints d’enseignants et parents d’élèves. Ainsi surgissent et prennent formes autant de points de vue sur un même contexte, dans une circulation du sens qui brouille habilement les limites entre fiction et réalité. Fidèle à son art, l’écrivain éclaire pour nous tout ce qui échappe au protocole scolaire, tout ce qui se joue entre et après les cours, en particulier les rapports de prestige, de rivalité et de séduction qui irriguent – ou gangrènent- la vie quotidienne d’un « prof ». Et cette approche-là s’avère souvent plus édifiante qu’un traité rédigé par un spécialiste en sciences de l’éducation. A titre personnel je recommande, pour son lyrisme et sa portée intellectuelle, la lecture attentive d’« Un prénom étonnant », la septième nouvelle dans l’ordre d’apparition du livre.
(éditions Ovadia, 14 euros)
Jacques LUCCHESI
