Les plumes d’azur des lions

En qualité de vieux briscard des Lettres – voilà bientôt quarante trois ans que j’aligne des mots – j’aimerais, (une fois n’est pas coutume), adresser un salut fraternel à Henri-Michel Polvan dont j’ai goûté la savoureuse prose dans Port d’attache. Son succulent billet m’a mis de bonne humeur pour la journée. J’aime sa manière courtoise de titiller l’absurde Lion aux plumes d’azur... Son élégante réponse souligne d’autant (s’il en était besoin) l’incroyable ridicule du bonhomme. Comme on le sait, hélas, la République des Lettres a trop souvent péché par sa légèreté, pour ne pas dire par sa sottise. Notre histoire littéraire regorge en la matière de piquantes et cinglantes anecdotes. Aujourd’hui comme hier, l’auteur (qui n’est d’aucun sérail) se trouve bien isolé et trop souvent traité impudemment. En l’occurrence, j’ai moi aussi un souvenir qui vaut bien le grotesque des aventures toutes emplumées d’azur de mon confrère Polvan. Il y a huit ans, j’adressais mon roman Dévoration à une vingtaine d’éditeurs. Tous m’adressèrent après un certain temps un courrier type disant qu’ils regrettaient...etc... Aucun, je pense, n’avait ouvert mon manuscrit. Sauf un ! Mais je compris bien vite qu’il n’avait lu que l’incipit du roman. Dans ce faux incipit qui parlait de l’Institut Géographique National pour apporter plus de véracité au texte, il était dit qu’une nommée Zita Birmann – personnage inventé de toute pièce – avait déposé le récit écrit par trois protagonistes de l’aventure à ce même Institut en l’an 1953. La réponse que me fit l’éditeur vaut à elle seule un Lion bardé d’or et de plumes.  Je cite de mémoire : « Nous avons étudié avec beaucoup d’attention votre manuscrit que nous a remis Zita Birmann... » J’ai dû relire deux fois l’amphigourique courrier avant d’en rire franchement. Sans le savoir, mon incroyable correspondant donnait une vie charnelle et bien réelle à un personnage de papier puisqu’il m’assurait que la belle Zita avait pris soin de déposer le manuscrit chez lui ! Zita, personnage de femme que j’avais tant choyé durant des heures, était entrée chez l’éditeur avant d’être éconduite dans la plus grande des confusions par... retour du courrier ! C’est une histoire qui ne s’invente pas. Elle est vraie, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’a pas son pesant d’absurdité. Mais à l’époque je n’avais ni la plume, ni le panache de Polvan : je ne répondis pas à l’éditeur. Je crois pourtant que la nuit qui suivit Zita réintégra les pages de mon livre et qu’elle se jura bien qu’on ne l’y prendrait plus et qu’elle ne serait plus l’entremetteuse de mes fredaines littéraires. Les lions ont très souvent des ailes de paon et non comme on le croit des ailes d’azur !
 
                      
 
                                                     Yves CARCHON