Dans le petit monde des Lettres, l’auteur ne peut
échapper à d’étranges rituels. Celui notamment de la dédicace du livre qui
vient de sortir en librairie et qu’il faut accompagner pour qu’il fasse son
chemin. Curieux exercice en fait que de rencontrer lecteur ou lectrice futurs.
Il y a ceux qui passent et qui repassent, sans oser s’arrêter. D’autres qui
vous guettent du coin de l’œil, livre ouvert entre les mains, entre deux
rayons. Ceux qui se détournent, pensant - à raison peut-être - que l’auteur se
prostitue en vendant ses livres. Il y a ceux qui viennent flairer le livre, en
lire un extrait avant de s’en séparer sans un seul regard pour le malheureux
auteur.
Une signature est souvent une rencontre entre deux timidités : celle du
lecteur que l’auteur perçoit et qui est du coup lui-même intimidé par l’extrême
réserve de son lecteur. En fait, c’est une sorte d’intimité qui se tisse entre
ces deux, chacun partageant un même amour de la lecture, car il n’y a pas
d’auteur qui n’ait été – ou ne soit encore – lecteur. Je dirais même que
l’auteur serait la forme accomplie du lectorat et qu’il ne chercherait bien
qu’à rendre hommage au lecteur qu’il fut, entre huit-douze ans. Donc, une
alchimie se crée, et la certitude partagée d’atteindre le domaine du rêve ou de
la rêverie grâce aux mots écrits, porteurs d’une totale et infinie félicité.
Quand l’auteur signe son ouvrage, il y a du mage en lui qui donne une clé
secrète à son lecteur, parfois sans même échanger un mot. Un sésame muet, censé
entrouvrir enfin la caverne d’Ali Baba au nouvel et tout friand adepte. Ce
n’est pas un signe cabalistique, mais presque ! Mais il y a aussi de belles
rencontres, bien rondes, bien goûteuses comme je sais les apprécier : ainsi,
avant-hier, apparut, là devant moi, une charmante octogénaire, fraîche,
espiègle, l’œil plein de malice, (j’ai pensé à la délicieuse Maud dans Harold
et Maud), m’assurant que bien qu’elle ne fêtât jamais Noël – un bon point pour
elle – elle voulait « marquer le coup » auprès de son Claude d’époux, éternel
lecteur qui gardait le chien, mais avec une dédicace « humoristique » et en
l’incluant aussi (« Je m’appelle Monique, on m’appelle Moon »). Un bonheur ! Je
me suis exécuté, on le comprendra, avec délices, tâchant d’être à la hauteur.
N’empêche, grâce à l’elfe de toujours qu’était Moon (« car je le lirais aussi »
m’a-t-elle promis) j’eus le sentiment de n’avoir pas perdu mon temps ni ma
journée. Mon après-midi en fut illuminé quoique n’ayant signé que six ouvrages
!
Yves CARCHON