Il y a des livres qui vous surprennent dès les
premières pages, tant par le caractère essentiel de leur propos que par la
simplicité de leur ton. Des livres sensibles, en prise sur le monde, mais qui
ne se gobergent pas de terminologies pompeuses pour obscurcir les vérités
qu’ils énoncent. Des livres qui revisitent une forme à priori ancienne (comme
la lettre), précisément pour mieux privilégier l’être sur la lettre. A n’en pas
douter Lettres à ma génération de
Sarah Roubato appartient à cette catégorie de livres rares et inclassables,
destinés tels Le Prophète de Khalil
Gibran ou Propos sur le bonheur
d’Alain, à devenir des livres de vie, de ceux qu’on garde à portée de main pour
des moments de lecture bienfaitrice. Mais comment a-t elle pu, si jeune
encore (elle est née en 1989), poser un regard aussi lucide sur la vie moderne,
pourtant si déstabilisante ? Car cette époque, avec ses tensions et ses
illusions, nous bouscule tous, quelque soit nôtre âge.
Le titre de son livre est d’ailleurs
souvent trompeur. Certes, il y a des textes, surtout en préambule, qui
reflètent les questionnements de sa génération. Mais, pour la plupart, ses
lettres s’adressent à des personnages, voire des objets, de sa galaxie
personnelle. C’est le cas pour sa magnifique Lettre à ma maîtresse (d’école) ou la non moins éloquente Lettre à Emile Zola. Ailleurs, la
louange cède le pas à l’ironie et la critique du système culturel, comme dans
sa Lettre à Denise Glaser. J’ai déjà
eu l’occasion d’écrire combien la lettre me semblait un genre ouvert, qui
permet d’exprimer, de façon plus charnelle et plus personnalisée que l’article,
un point de vue sur le monde. Et le recueil de Sarah Roubato, entre prosopopée
lyrique et philosophie pratique, confirme pleinement mon sentiment. Il faut se
procurer sans tarder ce petit livre – 135 pages – qui, bien que paru en 2016,
n’est pas près d’être démodé. Vous ne regretterez que sa brièveté.
Editions Michel Lafon, 10,95
euros.
Jacques LUCCHESI