C’était en 1985 : je fourguais mes
premiers poèmes et mes premières
chroniques à des fanzines et des revues de poésie. Eric Tremellat, un ami d’Aubagne,
avait lancé Cortex de nuit – quelques feuilles photocopiées dans une
pochette en plastique – et j’allais m’y adjoindre en essayant d’y apporter
quelques améliorations dans la forme et la pagination. Deux numéros spéciaux,
qui rassemblaient le gratin des poètes d’alors, allaient naître en 1988-89.
Avant que nous ne mettions la clé sous la porte, ruinés par les frais d’imprimerie.
Tremellat, qui ne manquait
pas d’idées, avait compris la nécessité de faire sortir la poésie de ses
supports habituels. C’est ainsi qu’avec un autre ami poète, il avait lancé une
ligne de tee-shirts avec quelques vers (de lui) sérigraphiés côté face. Pendant
des années j’ai ainsi arboré, dans le gymnase que je fréquentais alors, un
tee-shirt bleu-ciel où s’étalaient ces mots : je vis un temps/ où voir est sans limite. On me regardait comme un
original, mais tant pis. Quelques grammes de poésie dans un monde de brutes…Faut-il
dire que cette initiative, pourtant réfléchie, ne trouva jamais les faveurs du
marché?
Aujourd’hui, dans un article
publié dans le Nouvel Obs du 30 novembre 2017, j’apprends qu’une jeune poétesse
indo-canadienne, Rupi Kaur, a eu la même idée plus de trente ans après. C’est
ainsi que le couturier Prabal Gurung a clôturé, cette année, son défilé de
printemps avec une veste noire où était brodé un poème de Rupi : Nos dos/racontent des histoires/ qu’aucun
livre/ n’a le courage de porter. Une fulgurance, à l’instar des nôtres, qui
a confirmé le succès que recueille actuellement cette poétesse : un de ses
recueils, Lait et miel, s’est écoulé à 2,5 millions d’exemplaires et a été
traduit dans 25 langues. Même concision imagée, même démarche de
déterritorialisation poétique. Et, néanmoins, une réception complètement
différente. Loin de moi l’idée de vouloir attaquer en justice Rupi Kaur pour
plagiat. Car les idées circulent librement dans le temps et l’espace ; et,
parfois, elles trouvent le terreau favorable pour s’épanouir. Il faut croire
que celle-ci s’est incarnée en nous trop tôt, hélas, trop tôt.
Jacques LUCCHESI