Et si Ponce Pilate, procurateur romain de
Judée, n’avait pas cédé aux demandes insistantes du Sanhedrin qui voulait la
mort de Jésus ? Et si, dans un sursaut de dignité, il avait pris la
décision – courageuse- de gracier ce « roi des Juifs » qui professait
que son royaume n’est pas de ce monde ? Car Ponce Pilate savait
parfaitement que le jeune prédicateur était innocent du crime de sédition dont
les prêtres et les notables l’accusaient. En toute vraisemblabilité, Jésus
aurait été libéré et ne serait pas mort sur la croix. Il aurait même vécu
jusqu’à un âge avancé, dispensant autour de lui son enseignement généreux.
Mais, en cette époque de bouillonnement spirituel, ses idées ne lui auraient sans
doute guère survécu et le Christianisme ne se serait jamais répandu sur toute
la planète. Quelle religion aurait pris sa place ? C’est, comme on dit, la
face du monde qui en aurait été changé.
C’est l’hypothèse développée,
avec beaucoup de finesse et d’érudition, par Roger Caillois dans Ponce
Pilate , son unique roman. Cette uchronie magistrale, qui ne questionne
rien moins que les fondements de notre culture, a trouvé en Xavier Marchand
(directeur de la compagnie théâtrale Lanicolacheur) un lecteur attentif et
passionné. D’où le projet de la porter à la scène. Mais comment trouver la
forme qui restituerait au mieux le contexte historique et moral d’alors ?
A quel comédien confier le rôle du Christ ?
C’est finalement sur des
marionnettes – d’ailleurs réduites à leurs simples masques – que Xavier
Marchand a misé pour incarner les principaux protagonistes de ce drame
primordial : Ponce Pilate, son épouse, Jésus, Judas, Mardouk le prêtre
visionnaire. Conçues par Paulo Duarte et Mirjam Ellenbroeck, elles ne
remplacent pas les comédiens qui les animent mais dialoguent avec eux tout au
long de ce spectacle d’une heure trente. Tout comme le décor épuré, leur
gestuelle est économe, précise,
fascinante par sa capacité à traduire les mouvements d’âme des uns et des
autres. A mesure que l’histoire progresse, rythmée par la voix du récitant,
nous oublions facilement ces paramètres matériels pour nous concentrer sur la
problématique juridico-philosophique du roman de Caillois et l’abîme
vertigineux sur lequel ouvre cette spéculation. Il ne faut pas grand-chose pour
faire un bon spectacle ; il faut un
bon texte et de l’inventivité technique.
Après trois représentations à
Marseille, fin janvier, cette création doit maintenant entamer une tournée
nationale. Gageons que le public de ses prochaines étapes saura l’apprécier
autant que les spectateurs – très nombreux – du théâtre de la Joliette.
Jacques LUCCHESI