Si le malaise de la jeunesse n'est pas un thème nouveau dans la littérature – il suffit de songer à Musset et à sa Confession d'un enfant du siècle -, le XXeme siècle, en érigeant en classe sociale ce qui n'était alors qu'une classe d'âge, lui a donné un formidable coup d'accélérateur. Là dessus le cinéma est venu dédoubler le témoignage des écrivains, s'inspirant souvent de leur univers, amplifiant la portée de leur voix, créant des stars sur mesure – tel James Dean – pour un public d'adolescents de plus en plus important. Loin de laisser aux seuls auteurs masculins le monopole du discours sur le désarroi juvénile, les femmes se sont largement emparé de cette thématique, élargissant le spectre des comportements, créant des personnages – comme la Cécile de Bonjour tristesse - qui ont marqué l'imaginaire collectif. Depuis le monde a beaucoup changé ; d'autres menaces ont émergé et d'autres causes – comme l'environnement – mobilisent la jeunesse. Mais le malaise lié à sa condition n'a pas cessé pour autant. Il n'a même fait que s'accroître, renforcé par les nouvelles technologies et les réseaux sociaux.
C'est dans ce présent-là que s'inscrit le roman d'Aurélie Lesage, Alice aux petites balles perdues. Premier roman, avec son style en prise sur les tensions qui traversent notre langue, ses innovations et ses déformations mais aussi beaucoup de lyrisme, surtout dans les derniers chapitres. Alice, le personnage de la narratrice, adolescente pas encore déscolarisée (elle est en terminale et plutôt bonne élève), se laisse entraîner au hasard des rencontres, sans estime de soi, cherchant fiévreusement l'amour – le vrai – tout en relevant les défis les plus nihilistes. L'un d'eux – qui inspire le titre du roman – consiste à jouer à la roulette russe devant sa webcam, chaque matin pendant toute une semaine :
« Je ne pouvais pas refuser, Fred pouvait être convaincant. Qu'avais-je à perdre ? La vie ? Elle n'étais pas comme je le désirais, la vie. Au moins, cette petite expérience allait mettre un peu de piment dans mon existence si monotone. » (P. 25).
Le cœur de son lecteur, évidemment, se serre chaque fois qu'elle appuie sur la gâchette du colt Magnum (qu'elle trimballe un peu partout). Il faudra attendre la balle du dernier jour qui fera exploser, non pas sa cervelle, fort heureusement, mais son ordinateur dans les toilettes d'un bar. Gardons nous de la blâmer trop vite : car nous avons, un jour ou l'autre, tous éprouvé ce désir d'émotions fortes. Il fallait sans doute en passer par là pour entrer dans l'âge adulte et se satisfaire peu à peu d'une vie simple et routinière. Radiographie d'un monde en perdition autant que d'une âme égarée, ce roman passionnera toutes celles et ceux qui n'ont pas renoncé à comprendre cette époque rude et incertaine.
JDH Editions, 182 pages, 17 euros
Jacques LUCCHESI