Valentine De Barnay est le type même de la psychorigide, formée dès son plus jeune âge pour être une battante et accéder aux plus hautes responsabilités professionnelles – ce qu’elle atteint rapidement dans une grande société commerciale. Son combat, elle le mène autant contre les hommes que contre les femmes. Sa seule faiblesse : s’être marié avec un homme volage, Pierre de Richebois, et avoir fait un enfant avec lui.
Alice de Richebois, leur fille, est une enfant aussi douée que rebelle. C’est un peu une Fifi Brindacier du XXIeme siècle. Entre la mère, toujours absente, et la fillette demandeuse d’attentions, les rapports vont rapidement s’exacerber jusqu’au dénouement final.
Fatima Ayouch, sa nounou, aurait pu bénéficier de l’ascenseur social et devenir, même à un moindre niveau, une seconde Valentine. Mais son amour pour les enfants en a décidé autrement. Avec eux, elle peut donner le meilleur d’elle-même et ses qualités humaines sont très appréciées, tant par son employeuse que par la petite Alice qui va développer avec elle une relation fusionnelle. Au grand dam de Valentine, qui voit d’un mauvais œil sa fille lui échapper.
Voici les trois principaux personnages de ce premier roman à l’écriture claire et bien maîtrisée. Formellement, il se présente comme une succession de courts chapitres donnant alternativement la parole à chacune des trois protagonistes, de manière à éclairer leurs histoires singulières et à faire ainsi progresser le récit vers une ouverture des consciences à plus de tolérance et de liberté.
Pour Amélia Matar, animatrice d’ateliers pour enfants s’inspirant de la méthode Montessori, il s’agit de ne pas brimer les potentialités dont tout bambin est porteur, quels que soient son milieu social et sa culture familiale. Non la réussite professionnelle n’est pas tout dans la vie et il faut, plus que jamais, ménager, dans l’éducation, la part de l’imaginaire et de l’affectivité si l’on veut que nos enfants deviennent des adultes accomplis. Chaque chapitre s’orne d’ailleurs d’une citation extraite des écrits de la célèbre pédagogue italienne – ce qui donne à cette fiction un caractère démonstratif. Si ce parti-pris théorique peut parfois sembler redondant, il n’ôte en rien les qualités littéraires de ce roman et l’on appréciera, à l’aune de son titre, le devenir-mère d’Alice elle-même à la toute fin du livre.
Ode à l’émancipation féminine, Ainsi naissent les mamans n’en prône pas moins un modèle d’égalité et de partage. Sans d’ailleurs minorer la puissance de la nature sur nos vies. Car : « Nous sommes faits pour être aimantés par d’autres corps. Avec ou sans plaisir, nous sommes faits pour nous emboîter. Nous sommes faits pour que de ces emboîtements gauches naissent d’autres corps qui subiront le même sort. (Page 21) ». Une réussite.
(Editions Eyrolles, 195 pages, 15,90 euros)
Jacques LUCCHESI
(Article publié dans Phoenix N° 39)